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"Soyez acteurs de votre dictée", Guillaume Terrien

Comment rendre sympa l'exercice le plus impopulaire chez les élèves de français ? Et comment importer cet exercice au Mexique ? Voilà le double défi auquel s'attelle Guillaume Terrien, champion d'orthographe et créateur du site Orthodidacte.



Courtoisie de Guillaume Terrien. Vous pouvez réaliser cette première dictée mexicaine en ligne et la taper au clavier en cliquant sur ce lien.


Voici, en exclusivité pour Masiosarey, la dictée que des élèves de français de Tepotzotlán ont concoctée pour leurs compagnons d'infortune. Mais est-ce que l'apprentissage de l'orthographe française est encore une infortune ? Eh bien non ! À en croire Guillaume Terrien, l'orthographe peut être divertissante et motivante. Et il va essayer de le démontrer aux Mexicains qui apprennent le français.


La première dictée mexicaine d'Orthodidacte


La passion est communicative et Guillaume a, d'ores et déjà, convaincu José Manuel Ordóñez, professeur de français au Languages Institute de Tepotzotlán, de se lancer dans l'aventure et, avec lui, un groupe de six collégiens en téléenseignement depuis la pandémie. Ensemble, ils ont choisi le thème de la dictée et travaillé sur le vocabulaire. "Ce qui leur a le plus plu a été d'imaginer une histoire", avoue José Manuel. "Et puis ils ont découvert que la dictée demandait du travail ! ", poursuit-il. Car la dictée est un exercice que les apprenants de français au Mexique n'ont pas forcément l'habitude de faire. "Cela prend beaucoup de temps", explique José Manuel, "il faudrait lui dédier environ 40 minutes, le temps d'un cours entier."


Pour José Manuel, qui a découvert le site Orthodidacte en cherchant du matériel didactique pour préparer ses cours, le principe de la dictée en ligne est intéressant. En effet, les étudiants s'habituent à la manière de parler du professeur, à sa voix, mais sont perdus dès lors qu'ils entendent quelqu'un d'autre parler le français. Ainsi, la dictée lue par Guillaume Terrien, un des créateurs du site, est-elle doublement utile : elle permet de travailler la grammaire et l'orthographe avec un texte adapté au niveau de la classe, mais elle permet aussi de travailler l'écoute. Et puis "les élèves sont enthousiastes de voir que la dictée qu'ils ont créée sera lue à d'autres, sur YouTube ", précise José Manuel.



José Manuel, parisien d'origine, enseigne aussi dans une université privée mexicaine, à Naucalpan. Il souligne la facilité d'apprentissage des Mexicains : "En quatre ou cinq mois, ils acquièrent déjà un niveau qui leur permet de communiquer." Pour les Mexicains, apprendre le français est un choix, rappelle José Manuel. Alors que l'anglais reste une obligation, une langue qu'il faut apprendre pour le travail, "le français est associé à l'éducation, une langue respectée et respectueuse". Et quand on lui demande s'il projette de continuer l'expérimentation, avec d'autres groupes, José Manuel est affirmatif : "Il faudra bien entendu adapter le thème, le vocabulaire aux différents niveaux d'élèves, mais je réessayerai dès que nous reprendrons les cours après la pandémie." Un cluster d'étudiants, infectés par le virus de la dictée, risque fort bien d'apparaître dans le nord de la zone métropolitaine de Mexico ! Mais pourquoi cet exercice est-il si contagieux ?



Orthodidacte, un projet pour arrêter d'avoir peur de la dictée !


Habitué au sans faute, Guillaume Terrien, qui a remporté en 2004 le championnat de France d'orthographe (la célèbre dictée de Bernard Pivot), a deux passions dans la vie : l'orthographe et l'informatique. Avec Orthodidacte, il a articulé les deux. "Je sais fabriquer des sites internet, je sais fabriquer des logiciels et, par ailleurs, j'adore l'orthographe ; et comme il n'existait rien pour apprendre l'orthographe de manière ludique sur internet, c'était certainement une bonne idée", résume-t-il. Et il avait vu juste : en 2009, "il y avait un besoin et il n'existait pas de plateforme suffisamment développée", ajoute-t-il. Sur son site, Guillaume Terrien a développé deux lignes d'activités : d'une part, la rédaction et la publication de dictées et, de l'autre, l'entraînement à la dictée. Les dictées collaboratives ont été élaborées par des élèves d’une dizaine de pays. Elles sont disponibles gratuitement et sont lues par Guillaume ou d'autres francophones natifs. La création du site obéit surtout à l'idée de s'exercer à la dictée numérique. "Les élèves sont sur leur tablette ou ordinateur. Ils tapent avec leur clavier." Pour le plus grand bonheur des parents ! Car vos enfants seront en totale autonomie puisque la dictée se corrige sans vous. En ces temps de pandémie et d'école à domicile, toutes les initiatives éducatives en libre accès sont bienvenues...


Le succès est immédiat, avec plus de cent mille validations de dictées par mois ! Ce qui implique que le site Orthodidacte doit procéder à la correction de toutes ces dictées réalisées en ligne. "Nous hébergeons aussi des évènements sur notre site", des dictées de compétition notamment, "mais alors ce n'est pas moi qui les lis." Les dictées commencent au niveau CP (première année de primaire), mais la plus grande partie d'entre elles est destinée aux collégiens. Elles ne sont pas spécifiquement élaborées pour l'enseignement du français comme langue étrangère (FLE). L'éventail de choix est particulièrement vaste pour les professeurs de français qui peuvent, par ailleurs, suivre l'exemple de José Manuel Ordóñez et se lancer dans la conquête collective de la dictée faite maison.




Pourquoi un tel succès ?


Il s'agit, tout simplement, d'aborder la dictée de façon ludique. Face à notre scepticisme, il faut bien l'avouer, Guillaume Terrien explique : "Les élèves qui participent aux dictées collaboratives sont enchantés. Je reçois des vidéos d'autres pays et ils sont enchantés par l'exercice et le dispositif. Publier son propre texte et le voir ensuite lu sur internet, avec le nom de sa classe et de son établissement, est attractif. Et puis, les élèves s'émulent entre eux. Une classe d'université a produit une dictée, que les autres classes ont essayé de faire, et inversement. La dimension collaborative aide." Et voilà, pour faire vite, ce qui rend cet exercice ludique. Guillaume donne une autre recette : "Ce ne sont pas des textes de la littérature, ce n'est pas du Victor Hugo. Ce n'est pas que ce n'est pas bien, mais c'est moins ludique et ça intéresse moins les jeunes (...). Ce n'est pas forcément plus accessible en termes de niveau, mais au moins les acteurs sont les élèves, sur toute la ligne. (...) Soyez acteurs de votre dictée !"


La dictée, on aime ou on déteste, c'est tout ou rien. Pour Guillaume, la langue est un jeu et la dictée relève du défi. Avec Orthodidacte, il cherche à redonner de l'intérêt à l'exercice, notamment grâce à la dimension digitale. L'entraînement à la dictée est 100 % numérique. Et les élèves adorent ! Ils remplacent les stylos des grands-parents par la tablette ou l'ordi, et l'exercice s'affranchit des stigmates de son ancienneté. Orthodidacte organise d'ailleurs chaque année la Dictée des collèges, entièrement numérique. Trois mille étudiants réalisent en direct une dictée lue par une personnalité française. Toutes les copies sont corrigées en même temps et les résultats sont donc presque immédiats. Autre résultat du mariage réussi entre orthographe et programmation informatique, Guillaume Terrien et ses collègues (une quinzaine de personnes travaillent à Orthodidacte) ont créé l'algorithme qui permet une correction simultanée des plus fines.



Qui sont les fans de dictée dans le monde ?


Quels sont les pays qui utilisent le plus le site et, en conséquence, qui seraient les plus grands fans de dictée dans le monde ?


Les Français, en premier lieu : "En France, il y a une 'grosse' tradition dans l'enseignement de l'orthographe par la dictée. Beaucoup d'instituteurs, de maîtres des écoles viennent sur le site avec leurs élèves, pour y faire les dictées." Toutefois, un quart des passages sur le site provient de l'étranger. "Parmi les pays qui participent le plus, l'Iran", nous confie-t-il, lui-même surpris. "Pourquoi ? Il y a un paramètre personnel, parce que je connais le pays. Je connais beaucoup de professeurs de français là-bas et le message est vraiment bien passé. Et surtout, dans le cadre de sa mission de promotion du français, le service culturel de l'Ambassade de France a fait connaître le dispositif auprès des associations de professeurs et des universités. J'ai donc beaucoup de visites qui proviennent d'Iran. Pourtant, a priori, ce n'est pas le pays où l'on apprend le plus le français : il y a environ quarante mille apprenants, ce qui est déjà louable, mais si peu en comparaison du Mexique."


"À terme, je compte bien avoir un trafic plus important d'étrangers", poursuit Guillaume. "Au départ, Orthodidacte a été construit avec des Français. Mais je me dis que la francophonie est trop vaste pour se limiter à l'Hexagone. C'est pour cette raison que j'ai commencé à aller chercher des interlocuteurs dans d'autres pays. À l'heure actuelle, dix pays participentOrthodidacte], sur les deux cents pays que compte l'ONU !" Guillaume a donc bien l'intention de poursuivre ses efforts, en commençant par le Mexique. Après cette première dictée de Tepotzotlán, il fourmille d'idées et de projets.



La dictée pour lutter contre l'ennui ?


Comment implanter la dictée dans des pays où l'enseignement de la langue, l'espagnol dans ce cas, ne passe pas forcément par cet exercice ? En effet, ceux dont les enfants sont inscrits dans une école mexicaine n'auront pas manqué de noter que la dictée est très rare au Mexique. Guillaume Terrien explique : "La dictée se prête très bien à la langue française, de par la non-correspondance entre le son et la graphie, contrairement à l'espagnol par exemple, où les lettres se prononcent souvent de la même manière et se prononcent toutes. À un son correspond une lettre. J'ai fait une dictée sur les homonymes de 'saut' [ou serait-ce seau ? C'est sot quand on habite Sceaux !*] et la langue française se prête à cela. J'ai pu en discuter avec des professeurs d'espagnol. Dans cette langue, la dictée fonctionne bien dans les petites classes. Ensuite, on en a assez vite fait le tour. Arrivé au collège, l'exercice a nettement moins d'intérêt (...) C'est beaucoup trop facile." Ainsi, le succès de la dictée en français s'explique par l'attrait pour la complexité linguistique et orthographique, un remède certain à l'ennui... Voilà donc le mystère levé, celui du succès fou rencontré, pendant des années, par la dictée de Monsieur Pivot, qui a fait plancher des millions de Français, qui retournaient pour l'occasion sur les bancs de l'école !


Gageons que les Mexicains sauront apprécier le défi intellectuel que constitue la dictée. Libres des a priori hérités d'une lointaine scolarité française, ils apprécieront sans doute le dépoussiérage de l'exercice que propose Orthodidacte en utilisant les outils informatiques les plus modernes. Une bonne manière aussi de montrer aux détracteurs de l'informatique, inquiets de l'appauvrissement intellectuel généralisé, que tous les moyens sont bons pour favoriser l'apprentissage. Réalisé au stylo ou sur clavier, l'essentiel est ailleurs, pour un exercice qui ne sert qu'à se creuser les méninges !



© Masiosarey, 2020


 

*Nos plates excuses pour le jeu de mots, mais l'occasion fait le larron !



Nota bene : Bonne nouvelle ! Vous pourrez vous exercer à la dictée avec ce nouveau texte de Masiosarey qui a été corrigé, une fois n'est pas coutume, par un champion d'orthographe. Et pour rendre l'exercice encore plus ludique, nous avons volontairement glissé une faute d'orthographe... Avis à nos lecteurs les plus assidus !

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