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"...Le Mexique fait partie de l'Amérique du nord" : du T-Mec et autres découvertes


Dans les colonnes des médias francophones, les semaines au Mexique se suivent et... se ressemblent, prises en étau entre les chiffres, en hausse toujours, du Covid-19 d’un côté, et la violence de l’autre. Malgré tout, d’autres sujets ―et une certaine fantaisie journalistique― viennent aussi, de temps en temps, rompre cette monotonie informative. Le prix de géographie revient sans nul doute à Courrier International qui confirme que ".. le Mexique fait partie de l'Amérique du nord"... pour ceux qui avaient encore quelques doutes.


“Des câlins et non des balles ”


Alors que la barre des 30.000 décès officiellement recensés vient d’être franchie* et que les démonstrations de violence se multiplient un peu partout sur le territoire, nous retiendrons cette semaine deux articles qui donnent la parole à des acteurs de terrain. La Croix et l’AFP ont suivi des secouristes dans les banlieues de la capitale mexicaine. Vatican News, pour sa part, a recueilli le témoignage d’un missionnaire italien. Mis en perspective, ces deux médias offrent un instantané douloureux d’une société mexicaine en prise avec une crise sanitaire, sociale et économique bien réelle; une représentation sans doute plus évocatrice que les statistiques quotidiennes dont nous abondent les médias nationaux et internationaux. Une mention spéciale à Vatican News, pour sa traduction inattendue du slogan gouvernemental “abrazos, no balazos”, devenu “des câlins et non des balles”... dit comme ça, c’est sûr que ça change tout.


T-MEC: un accord sur mesure pour "Tariff man"? Pas si sûr...


Cette semaine, la grande actu "alternative" au Covid et à la violence était cependant l’entrée en vigueur, le 1er juillet, du nouvel accord de libre échange entre le Mexique, les Etats-Unis et le Canada; un accord à l'identité plus que "fluide" d'ailleurs : USMCA en anglais (United States-Mexico-Canada Agreement), AEUMC en français (Accord Etats-Unis-Mexique-Canada), ACEUM au Canada (Accord Canada–États-Unis–Mexique) et T-Mec au Mexique.


Logiquement, ce sont les médias canadiens qui ont le plus largement commenté l’affaire. La palme de la prudence revient au quotidien La Presse, qui a pris le parti de publier un texte de la ministre mexicaine de l’économie, Graciela Márquez. Et il ne s’agit évidemment pas d’un texte polémique; la ministre mexicaine s'y félicitant avec enthousiasme de l’amorce d’une “nouvelle étape dans les liens commerciaux et productifs” des deux pays. Après l’étape de l’intégration économique “sous les auspices de l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA)”, écrit-elle en substance, voici venu le temps “des règles claires pour le développement de notre commerce de biens et services”; et ce notamment pour mieux entamer une nouvelle phase d’intégration, “dans le domaine du numérique” cette fois.


Mais, à partir de là, les choses se corsent. Il s’agit d’un accord “plus politique qu’économique” notait Radio Canada dans un article de février dernier, remis à la page cette semaine. Citant un rapport publié il y a quelques mois, le média francophone explique notamment que les retombées économiques attendues pour les trois pays seront plus faibles que celles qui auraient pu être enregistrées si l’ancien accord de libre-échange nord-américain (ALENA ou TLCAN, selon votre préférence) avait été maintenu.


“Un enchevêtrement d’exceptions et de limitations, de nouvelles règles qui viennent encadrer le commerce entre les trois pays, bien plus que de le libéraliser” résume, pour sa part, le chroniqueur économique Gérald Fillion, toujours pour Radio Canada. Pour illustrer son propos (sceptique, vous l’aurez compris), Gérald Fillion cite un article récent d’un spécialiste de droit international économique, Richard Ouellet. Ce dernier y explique que si l’ALENA a été négocié pendant “l’âge d’or” du libre-échangisme et “du multilatéralisme économique”, l’ACEUM “a été négocié dans une perspective mercantiliste, alors que le système commercial multilatéral incarné par l’OMC est en panne”. Et, vous l’aurez deviné, pour Richard Ouellet le “mercantilisme” n’est pas une bonne chose. Les pays n’ont plus “l’intention d’approfondir entre eux l’intégration économique et politique". Désormais, le mot d’ordre est “la recherche du gain pour son propre pays”, à l’image du slogan ”America First” de Donald Trump. L’ACEUM, ajoute Richard Ouellet, est symptomatique d’une phase de la mondialisation “basée sur l’arbitrage des intérêts nationaux, sur le régionalisme plutôt que sur le multilatéralisme, sur la pression économique plutôt que sur la règle de droit, sur des disciplines sur la gestion des flux des échanges plutôt que sur un socle uniforme de disciplines sur la liberté de commerce”. Bref, vous l’aurez compris, tout cela nous éloigne un peu plus du multilatéralisme, qui serait pourtant la clef “pour affronter les défis actuels”, qu’ils soient sanitaires, environnementaux, sécuritaires, sociaux, migratoires.


Ce même Richard Ouellet est toutefois plus nuancé dans les colonnes du quotidien Le Devoir. Là, dans un texte rédigé avec un confrère de l’Université de Laval, ce professeur insiste au contraire sur la continuité entre les deux accords de libre-échange nord-américains, l'ALENA et le ACEUM. Évidemment, poursuivent les deux chercheurs, “L’ACEUM prévoit bien quelques nouveautés, comme une révision des règles d’origine pour le secteur de l’automobile et de nouvelles restrictions sur les exportations de produits laitiers canadiens, mais elles sont loin d’être déstabilisatrices”. Si nous en doutions, les auteurs ne sont pas avares en images fortes : en comparaison de “l’onde de choc que l’ALENA a provoquée dans le système commercial des années 1990, l’ACEUM ne fera que des vaguelettes”. L'image est forte certes, mais le doute s'installe. Assisterions-nous à un cas de schizophrénie libre-échangiste? Le débat est ouvert.  


Et attendant, les deux spécialistes laissent libre cours à leur optimisme dans les pages du quotidien Le Devoir. N’en déplaisent à « Tariff Man » (comme se surnomme lui-même Donald Trump pour mettre en avant ses visées protectionnistes), nous expliquent-ils, l’ACEUM ne permettra pas “aux États-Unis de restreindre davantage leurs importations”. Il n’affaiblira pas non plus l’État de droit “grâce à des procédures plus directes, robustes et transparentes”. Et, cerise sur le gâteau, cet accord serait même progressiste. Car “ses chapitres sur la protection de l’environnement et sur le droit des travailleurs incluent des obligations à la fois précises et contraignantes”; sans compter qu’une “exception inédite” permettra à un gouvernement “de se soustraire à ses engagements commerciaux pour remplir ses obligations à l’égard des peuples autochtones”. 


Évidemment, vous l’aurez compris, tout ici est plus compliqué qu’il n’y paraît. C’est donc avec une certaine philosophie que vous aborderez la conclusion des deux spécialistes. En effet, selon eux, “il n’est même pas certain que l’ACEUM soit globalement plus avantageux que ne l’était l’ALENA, tant pour le Canada que pour les États-Unis et le Mexique”. Allons bon, vous direz vous... Mais, poursuivent les auteurs, magnanimes, “il était cependant nécessaire d’assurer aux acteurs économiques une certaine prévisibilité dans les circonstances politiques que nous connaissons”...


A ce stade, cher lecteur, c’est chacun pour soi.


“Du point de vue de cet accord, le Mexique fait partie de l’Amérique du Nord”


De son côté, la presse française aura couvert beaucoup plus discrètement l’entrée en vigueur de cet accord. La Croix en propose une synthèse exécutive aussi utile que neutre, en donnant toutefois la parole à un économiste, Vincent Vicard, qui ―comme ses confrères québécois, mais avec plus de retenue― salue lui aussi le volet social de l’AEUCM (et non plus l’ACEUM... nous sommes en France), qui devrait à terme “favoriser l’augmentation des salaires au Mexique et une meilleure protection des travailleurs”. Mais attention, souligne Vincent Vicard, “le droit mexicain n’est pour l’heure pas encore adapté. Ces dispositions sont soumises au vote constitutionnel. Si elles ne sont pas adoptées, le Mexique pourrait souffrir de représailles économiques importantes de la part de ses voisins”.


Mystère des circuits de l’information, Courrier international reprend pour sa part un article de l’édition espagnole de la Deutsche Welle pour aborder la situation mexicaine. Le média allemand insiste surtout sur les tensions économiques entre les trois pays signataires explique l’hebdomadaire français. Mais la Deutsche Welle va plus loin, nous semble-t-il, et offre une analyse assez complète des nouvelles règles du jeu qui vont désormais régir la donne pour le Mexique.


Car ce nouveau contrat salué comme “un jour historique pour l’Amérique du Nord”, selon la ministre de l’Économie Graciela Márquez, et comme l'avènement d'une protection contre les “mesures unilatérales” pour le secrétaire d’État à la sécurité alimentaire Víctor Suárez “ne présente pas que des avantages”, note le média allemand. Les investisseurs étrangers seront mieux protégés et le pays verra sa marge de manœuvre réduite, notamment vis-à-vis de partenaires commerciaux tiers, telle que la Chine. Quant à son industrie automobile, celle-ci devra se restructurer sérieusement. Enfin, la loi du travail mexicaine, tout comme sa législation environnementale ou encore ses règles en matière de protection de la propriété intellectuelle sont encore loin d'être au niveau. La seule bonne nouvelle, selon la Deutsche Welle, semble être la situation de statu quo qui caractérisera l’agriculture mexicaine en temps de T-MEC. Celle-ci devrait, en effet, pouvoir continuer de fonctionner à deux vitesses : investissements garantis pour le secteur agroindustriel, d’une part, et maintien des subventions publiques pour l’agriculture écologique, de l’autre, avec en prime, se félicite la télévision allemande, la possibilité pour les autorités locales de poursuivre les actions visant à interdir les engrais à base de glyphosate... une interprétation peut être un peu germanique de la situation mexicaine?


Quant à Courrier international, l’hebdomadaire conclue sur une étrange remarque. “Du point de vue de cet accord”, juge-t-il nécessaire de préciser, “le Mexique fait partie de l’Amérique du Nord”. Là, nous serions tentés de rappeler que, du point de la vue de la géographie et de la géopolitique internationale aussi, aucun doute, le Mexique fait bien partie de l’Amérique du Nord.



© Masiosarey, 2020


 

* Au sujet des chiffres des décès dans la Ville de México, nous vous recommandons l’analyse des données publiques publiée dans l’hebdomadaire Nexos.

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