Le dilemme mexicain
Cette semaine, c’est une certaine incompréhension qui plane sur la presse francophone et ses correspondants au Mexique. A la mi-mai déjà, l’annonce d’une reprise progressive des activités économiques à partir du 1er juin ―perçue par beaucoup comme une invitation (trop) anticipée à relâcher les mesures de distanciation sociale mises en place fin mars― avait fait du bruit dans les médias étrangers. Aujourd’hui, le maintien de la position gouvernementale sur ce sujet, malgré la hausse continue des cas de Covid-19 dans le pays, amène une fois encore les observateurs à s’interroger sur le sens que prendra la «nouvelle normalité» mexicaine.
Les titres choisis par les différents journaux parlent d’eux-même: “Le Mexique insouciant face au Covid qui fait des ravages” et “Au Mexique le déni bien installé, l’épidémie aussi” dans les colonnes de Libération, “Au Mexique, les mesures sanitaires se relâchent malgré une augmentation des décès” dans celles de La Croix, “Au Mexique, le président « AMLO » déconfine en plein pic de l’épidémie” pour Le Monde, ou encore “Le Mexique entame le déconfinement alors que l'épidémie continue de progresser” sur le site FranceTVInfo, qui d’ailleurs en perd ses repères géographiques : “la stratégie de ce pays d'Amérique Centrale face au coronavirus est assez étrange” insiste le média français, et “l’attitude du président mexicain et de son gouvernement laisse songeur”...
Les médias canadiens, qui s’étaient exprimés sur ce sujet à la mi-mai, semblent déjà être passés à autre chose. Mais le son de cloche est grosso modo le même du côté de la presse anglo-saxonne. Ainsi, ce lundi, The Washington Post titrait-il lui aussi, et sans trop d'originalité: “Mexico president kicks off ‘new normal’ phase amid pandemic”. Dans un registre un peu plus angoissant, The Guardian publiait ce week-end un article intitulé “Cemeteries braced for surge in Covid-19 dead as Mexico readies to reopen”. Du côté espagnol, El Pais, pour sa part, jouait de l’ironie ce 1er juin, avec un un long article pour le moins critique, titré “México inicia la vuelta a la normalidad más confusa”...
Que tirer de ces lectures, tout en évitant la crise de nerfs?
Tout d’abord, tous les médias expliquent que ce ne sont que certaines activités économiques qui sont concernées. Pour le moment, seules les activités de production liées à l'industrie automobile, le secteur minier, le BTP et, plus anecdotiquement, la production de bière redémarrent. Parallèlement, apprend-on au fil des articles, des protocoles sanitaires seraient actuellement en préparation: pour relancer rapidement le secteur du tourisme, évidemment très touché par les mesures de confinement, et pour ré-ouvrir les entreprises.
En effet, soulignent ces médias, la principale raison du déconfinement mexicain est économique. Comme le résume FranceTVInfo, “un Mexicain sur deux vit sous le seuil de pauvreté et dépend de l’économie informelle. Le pays ne peut pas se permettre de laisser ses activités à l’arrêt”. A cela, s’ajoutent les pressions des élites industrielles mexicaines et, plus encore, celles des Etats-Unis qui, eux aussi, veulent faire redémarrer leur économie significativement dépendante de sites de production délocalisés au Mexique.
Et pourtant, rappelle Le Monde ―citant l’université Johns-Hopkins―, le Mexique occupe depuis près de deux semaines la 10ème place dans le triste classement des pays du monde comptant le plus de morts liés au virus. Et le nombre des contagions continue d’augmenter. Le pays est toujours officiellement en “zone rouge” et les autorités appellent chacun à la prudence et à rester chez toi. Alors déconfinement ou pas? Comment respecter (et faire respecter) de strictes mesures de précaution, alors même que le pays est invité à redémarrer et que le président part en tournée pour promouvoir le développement économique et touristique dans la péninsule du Yucatan ? Comme le résume Le Monde, “la confusion règne au Mexique”.
Un déconfinement à géométrie variable...
... qui suscite la controverse. L’article de Le Monde revient plus en détail sur le plan graduel de déconfinement. Mais comme le rappellent l’ensemble des médias francophones, beaucoup d’observateurs, au Mexique et à l’étranger, mais aussi d’acteurs politiques locaux sont sceptiques. Les chiffres du suivi officiel de la pandémie sont jugés très sous-estimés. Quant au système de santé national, structurellement pénalisé par des décennies de sous-investissement, il est, selon beaucoup, probablement en passe d’être débordé. Sur ce point, Libération est toutefois optimiste, notant que, d'après plusieurs médecins interrogés, “le défaillant système hospitalier mexicain a plutôt bien supporté le choc, grâce à une extension constante des capacités d’accueil”. The New York Times l'est un peu moins. Si vous êtes psychologiquement en forme, et seulement dans ce cas, lisez l’article publié ce week-end, sur la situation du système de santé mexicain justement. Au manque de clarté sur l’ampleur de la pandémie et sur la situation hospitalière, s’ajoute enfin une certaine défiance vis-à-vis de la position du président mexicain, critiqué par certains pour privilégier l'économie à la protection des groupes les plus vulnérables de la population.
A ce sujet, nous vous recommandons l’article d’Emmanuelle Steels dans Libération, qui revient justement sur la situation des vendeurs de rue et, notamment, les vendeurs sur les marchés, "les principaux foyers de contagion à Mexico”. Précaires, dans la nécessité de travailler et d’utiliser les transports publics, ils sont frappés de plein fouet par le Covid. Peu enclins à se faire soigner, ils sont généralement pris en charge tard et leur état se dégrade, raconte un médecin à la correspondante du quotidien français. “Beaucoup de personnes relativement jeunes voient leur état s’aggraver. La moitié des décès survient parmi les moins de 60 ans, un quart chez les moins de 50 ans”. Selon certains chercheurs, poursuit la journaliste, entre janvier et mai 2020 le Covid-19 n’aurait pas coûté 2 000 mais plutôt 8 000 vies dans la capitale du pays.
La chronique d'un terrible dilemme entre économie et santé...
@ Masiosarey, 2020
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