La "Nouvelle normalité" mexicaine post COVID : un casse-tête chinois
Plus qu'un coup de com "nov'langue", la "nouvelle normalité" est une situation tout ce qu'il y a de plus officielle. Le 29 mai dernier, le gouvernement mexicain publie dans le Journal officiel un accord qui régule la reprise des activités économiques post confinement. Explication de texte...
L'accord du 29 mai 2020 rend public les "lignes directrices techniques" que devra suivre toute entreprise comptant reprendre ses activités à partir du 1er juin 2020 (Lineamientos técnicos específicos para la reapertura de las actividades económicas). Il s'inscrit dans la continuité d'une série de textes visant à réguler l'économie nationale en période d'épidémie. Pour rappel, un accord du 31 mars 2020 avait imposé une réduction générale des activités, à l'exception de 33 secteurs considérés essentiels ; un autre accord du 6 avril flexibilisait une première fois ces règles, en autorisant la reprise de l'activité dans 4 secteurs supplémentaires; le 14 mai 2020, la construction, l'exploitation minière et la fabrication d'équipements automobiles étaient à leur tour autorisées à redémarrer. La "nouvelle normalité" est définie comme la dernière étape d'un processus temporel en trois phases, initié le 27 février, comme le synthétise la figure suivante, tirée de l'accord du 29 mai.
Déterminer le niveau de risque localement
Ce nouvel accord met en place système de "feux de signalisation" (le fameux "semáforo Covid-19") qui devrait permettre de savoir quel est le niveau de risque épidémiologique, et donc quelle est la marche à suivre dans les différentes régions du pays:
Niveau maximal: seules les activités essentielles sont autorisées.
Niveau élevé: les activités essentielles fonctionnent à leur rythme normal et les activités non essentielles ont une opération réduite (ces entreprises doivent adopter des mesures spécifiques de prévention et n'autoriser la présence physique que de 30% de leur personnel).
Niveau intermédiaire: les activités économiques reprennent totalement, mais les activités dans les espaces publics restent limitées (aucune précision sur ce que cela signifie concrètement).
Niveau quotidien: Reprise de toutes les activités.
Le principe est clair: les différents secteurs de l'économie nationale ne reprendront pas au même rythme ni au même moment. De la même façon, il est acquis qu'aucun état fédéré n'a encore atteint le niveau jaune; le 14 juin, seule la moitié des états fédérés était passée à l'orange, les autres s'enfonçaient dans le rouge. Mais au-delà de ce consensus général, le situation se complique.
Tout d'abord, le site Covid-19 du ministère fédéral de la santé n'utilise pas ce code couleur pour géo-référencer les cas à l'échelle du pays. Quant au "semáforo Covid", celui-ci n'est cartografié que sur les diapositives que le ministère montre lors des points quotidiens d'information, mais vous ne retrouverez ces cartes sur aucun document officiel en ligne. Ainsi, ce n'est pas sur le site officiel du gouvernement fédéral que vous confirmerez la couleur de votre état (ni sur le site spécifique Covid-19, ni sur celui du ministère de la santé). Pour cela, il faudra vous fier à la presse nationale et locale (qui se charge de diffuser les diapositives présentées par les autorités). Ou alors naviguer sur les sites des états fédérés...
Et là, commence le casse-tête. En effet, à ce sujet, il n'y a pas de véritable homologation entre les États et la Fédération : ni des étapes, ni des feux de signalisation, ni même des critères à prendre en compte pour changer de couleur. Par exemple, l'Etat de Jalisco n'utilise pas le "semáforo Covid", pas plus qu'il ne suit les étapes de la "nouvelle normalité" (fédérale) : à Jalisco, sachez-le, vous êtes actuellement en étape 0. Dans la capitale mexicaine, le principe du feu de signalisation est bien repris, mais sur la base d'un seul critère, celui du nombre d'hospitalisations. Ainsi, dans cette ville vous êtes actuellement dans le rouge. A la complexité du passage d'un niveau de risque à un autre au niveau régional (au Mexique, cela signifie au niveau de chaque entité fédérative), il faut rajouter que les dynamiques locales peuvent varier d'une municipalité à l'autre. Ainsi le gouvernement fédéral a-t-il établi une liste des agglomérations (les "municipalités de l'espoir") qui, le 16 mai, étaient considérées en phase verte. Pour en être, il fallait avoir passé 28 jours sans qu'aucun cas ne se soit déclaré dans la municipalité en question, ni chez ses voisines. Outre le fait que ces "municipalités de l'espoir" n'ont pas toutes suivi les directives fédérales, cela montre l'extrême diversité des situations locales. Par exemple, au Quintana Roo, le gouvernement de l'Etat annonçait que, pour que la semaine du 15 au 21 juin, le feu resterait rouge pour la région sud et orange pour la région nord.
C'est principalement cette ouverture différenciée et régionalisée qui produit cette sensation de confusion et de messages contradictoires entre le gouvernement fédéral et les gouvernements des États.
Entreprises: des mesures pour une auto-évaluation obligatoire ... mais pas pour tous!
Pour les entreprises, l'élaboration d'un "Protocole de sécurité sanitaire" est fortement recommandé par le gouvernement fédéral. Une fois mis en place, ce protocole doit être envoyé et partagé grâce à un nouveau portail internet ad hoc www.nuevanormalidad.gob.mx. C'est, nous signale le site gouvernemental, dans une optique "d'auto-évaluation" que ces mesures doivent être prises. La question est donc de savoir si elles sont obligatoires ou volontaires. Et bien, comme tout est toujours plus compliqué qu'il n'y paraît, le document explique que ce processus d'auto-évaluation est obligatoire pour les entreprises des secteurs essentiels (rappelez-vous les 40 évoqués ci-dessus), mais volontaire pour le reste des entreprises. Ainsi, toutes les entreprises pourront ouvrir à partir du 1er juin, sans avoir besoin d'autorisation, si elles suivent en tout point les "Lignes directrices" fédérales, qui ne sont pas obligatoires pour tous et dépendent d'un feu de signalisation décidé au niveau local... Vous avez compris? En guise de motivation pour s'astreindre volontairement à l'élaboration d'un "Protocole de sécurité sanitaire", l'IMSS délivrera un certificat.
Et il faut bien avouer qu'il faut être motivé pour s'imprégner des démarches à suivre et des différents éléments à fournir. Les mesures sont différenciées en fonction cette fois, non pas du risque épidémiologique ni du secteur d'activité, mais de la taille des entreprises. Sauf que le gouvernement annonce déjà que des "Lignes directives spécifiques" par secteurs d'activité pourraient bien être adoptées, s'enfonçant ainsi dans une tendance bien trop commune d'inflation normative.
Pour l'ensemble des entreprises, 15 mesures seront toutefois indispensables, comprenez obligatoires (même si cela n'est pas dit de la sorte), car les autorités pourraient bien organiser des inspections (le document utilise le mot "fiscalisation") sur les lieux de travail. Mais, attention ! Ces mesures indispensables changent de nature selon la taille de l'entreprise. En outre, des mesures additionnelles sont recommandées (comprenez non obligatoires) : 40 mesures pour les micro et petites entreprises, 62 pour les entreprises moyennes, 72 pour les grandes entreprises... Les chefs des micro et petites entreprises devront donc maîtriser parfaitement les tableaux 6 à 11 du document qui listent l'ensemble des mesures indispensables ou recommandables à adopter, ceux des entreprises moyennes les tableaux 12 à 17, et ceux des grandes entreprises paieront quelqu'un pour s'occuper des tableaux 18 à 24. Nous pouvons d'ores et déjà annoncer que l'industrie des surligneurs fluorescents va reprendre de plus belle pour permettre aux heureux responsables désignés, ou au comité qui sera créé ad hoc, de "pondérer l'ordre de mise en oeuvre" des mesures. Les autres grands gagnants seront, à n'en pas douter, les fabricants de thermomètres électroniques car, avec plus de 4 millions de micro et petites entreprises dans le pays (selon l'INEGI en 2018) qui vont être obligées de prendre la température de leurs employés, le marché est particulièrement attractif!
Pour faciliter son élaboration, l'autorité propose différents modèles de protocoles en fonction des tailles d'entreprises (pour les micro et petites entreprises, pour les moyennes et pour les grandes entreprises). Une fois rempli, ce protocole doit être envoyé à l'adresse internet indiquée et sera examiné par un logiciel. Il n'est pas obligatoire pour tous, mais est quand même fortement conseillé car vous devrez le montrer si vous êtes par hasard (malchance, malheur, cauchemar) inspecté par les autorités compétentes (p. 37 de l'accord). Et l'amende peut être salée en cas de manquement ou bien votre local fermé, ce qui vous plongerez dans de nouveaux abîmes administratif puisqu'il vous faudra alors enclencher une démarche judiciaire pour la réouverture.
Justement à propos d'autorité compétente pour mener à bien la tache de "fiscalisation", le document reste flou; cela pourrait être aussi bien le Ministère fédéral du travail et de la prévision sociale ou l'IMSS... ou encore leurs homologues des états fédérés. En l'espace de deux semaines en avril, le ministère fédéral du travail et de la prévision sociale avait réalisé 600 visites d'inspection dans le cadre du Covid-19 (Factor Capital humano). Le 8 juin, la ministre, Luisa María Alcalde présentait les résultats préliminaires de 329 visites d'inspections que son ministère avait pu réaliser; résultats des courses : 42% des entreprises inspectées avaient commencé leurs activités et possédaient un protocole (El Economista). En conservant une moyenne optimiste de 330 visites par semaine, le ministère aurait donc réalisé 3 300 visites d'inspections depuis le décret du 31 mars (sur une période de 10 semaines donc), pour un univers de plus de 5 millions d'unités économiques actives (données de l'INEGI). Mieux vaut, effectivement, parier sur le volontariat pour être convaincant!
Les heurs et malheurs des systèmes fédéraux...
Mais pour comprendre pourquoi le passage à la "nouvelle normalité" est si confus au Mexique, il faut savoir que l'accord du 29 mai 2020 précise bien que les décisions seront prises localement (c'est-à-dire par les Etats). Ainsi, alors que le président Andrès Manuel López Obrador annonce la réouverture de l'économie au 1er juin, les 31 gouverneurs et la chef du gouvernement de la Ville de Mexico se gardent bien d'opiner et planifient chacun de leur côté des dates différenciées d'entrée dans la "nouvelle normalité". Pour leur part, et logiquement, les entreprises de toutes tailles devront fournir le fameux "Protocole de sécurité sanitaire" fédéral, mais aussi se renseigner pour savoir quelles sont les mesures à prendre localement pour la réouverture des activités. Et là, la chose se complique encore (oui, c'est possible!), car chaque État a élaboré des plans et des lignes directrices propres pour l'entrée de son territoire dans la "nouvelle normalité". Au Jalisco, par exemple, trois documents doivent être considérés et maîtrisés : le Plan Jalisco pour la réactivation économique, le MOVAPE (le modèle de vigilance et d'application des tests pour les entreprises) et le modèle de Protocole d'action. Pour ce dernier document, attention car le protocole change en fonction du secteur d'activité de l'entreprise (une quinzaine); selon des critères qui ne sont évidemment pas les mêmes que ceux définis par le gouvernement fédéral. Par exemple en matière de tourisme ou de services, il semblerait que seules les entreprises de plus de 100 employés soient concernées. Toutefois, toutes les entreprises doivent se mettre à jour dans les normes qui régissent leur secteur (elles sont listées, pas de soucis).
En matière de vigilance, le gouvernement local fait également la distinction entre les entreprises de moins de 100 employés et celle de plus de 100 employés. Par ailleurs, trois indicateurs "de vigilance" permettent de déterminer le changement de phase (capacité hospitalière; monitoring des cas; intensité de la mobilité), et deux critères conditionnent la réouverture des entreprises: d'une part, la réalisation de tests et le suivi des cas actifs, et d'autre part, la capacité de détection et d'isolement des cas découverts (à ce sujet, il est conseillé aux entrepreneurs de se référer au MOVAPE pour comprendre comment s'y prendre).
Dans la ville de Mexico, ce ne sont pas moins de 23 textes normatifs qui sont en ligne. Pas de panique, il faut impérativement commencer par la lecture de la Gazette officielle du 12 juin 2020 et de l'accord qui adopte les "lignes directrices" (lineamientos) pour l'exécution du "Plan graduel vers la nouvelle normalité dans la ville de Mexico" et la mise en place du comité de suivi associé. Ensuite, les entreprises se reporteront aux "Lignes directrices" qui ont été publiées pour leurs secteurs d'activité respectifs.
Pour faire simple (si possible), l'accord du 12 juin établit que, pour la semaine du 15 au 21 juin, le feu est au rouge. Toutefois, les mesures programmées pour cette même semaine doivent permettre de transiter vers la couleur orange. Sauf que la couleur finalement homologuée la semaine prochaine dépendra du seul indicateur de capacité hospitalière. Bref, le parti pris est résolument contextuel, et à chaque jour correspond une étape spécifique. Le 16 juin, par exemple, les activités de production ont pu reprendre du lundi au jeudi; et, à compter du 18 juin, vous pourrez acheter des cahiers dans les papeteries de votre quartier (à condition qu'elles emploient moins de 5 personnes) ou, plus important, des journaux au kiosque du coin.
L'indicateur clé pour déterminer la couleur est donc la capacité hospitalière et, pour le moment, la Ville de Mexico reste au rouge. Les parcs ne peuvent accueillir que 30% de leur capacité normale (ceci dit, quelle peut bien être leur capacité normale?) et vous ne pourrez toujours pas réaliser vos démarches administratives physiquement. En matière de mesures sanitaires, l'usage du masque est obligatoire et il est recommandé de ne porter ni bijoux, ni barbe, ni moustache. Toutefois, aucune sanction n'est établie en cas de non respect de ces mesures. Il n'y aura donc malheureusement pas de "police de la moustache" qui sillonnera la ville à la poursuite des contrevenants, essentiellement masculins il faut bien en convenir.
Bref, pour plus de détails et pour une entrée réussie dans la "nouvelle normalité", nous ne saurions trop vous recommander de commencer par une plongée dans les documents et régulations produits par votre État de résidence. Prenez une grande respiration, restez zen et n'oubliez pas votre masque!
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