L'inscription scolaire à la française
Je me plains (un peu, beaucoup, passionnément...) des démarches administratives à la mexicaine; c'est oublier un peu trop vite que les démarches à la françaises sont tout aussi incertaines. Allons, restez zeeeen...
L'administration mexicaine, je m'y connais. Aller, je peux même dire que je suis une spécialiste vu que j'ai eu l'occasion :
- de faire des démarches individuelles (permis de résider au Mexique, permis de construire, permis de changer les plaques de voiture, permis d'étudier, permis de nager...),
- d'éditer des textes de chercheurs très sérieux sur le quotidien de certaines administrations (cela s'appelle le street-level bureaucracy, en langage scientifique),
- d'évaluer la mise en oeuvre de programmes fédéraux (évaluation de processus, en langage technocratique !)
La conclusion, tout à fait empirique, est à peu près toujours la même : la dissociation qui existe entre le "e-gouvernement" et le guichet est une matière inépuisable d'analyse et d'énervement. Les sites qui listent les papiers que vous devez fournir dans vos démarches sont toujours incomplets. Si le site vous promet un résultat en une heure, ajoutez toujours quelques jours, voire quelques mois selon la démarche entreprise. Sans parler de la dissociation, plus grave celle-là, entre la raison même de l'existence d'une démarche administrative et son résultat, la délivrance d'un papier qui autorise quelque chose... ou pas. Prenons l'exemple, le plus simple, du permis de conduire mexicain. Pour l'obtenir, vous devez vous rendre dans un bureau de la trésorerie de votre ville (il y en a même dans les supermarchés) et après avoir gentiment fait la queue et payé votre dû, voilà que la petite carte magique avec votre photo sort sans plus de tracas. Dans ce processus relativement rapide et efficace, l'administration a juste oublié de vous demander si vous saviez conduire ! Ainsi, le permis de conduire qui devrait valider une compétence obligatoire est obtenu comme dans une pochette surprise.
Face à une administration mexicaine ubuesque et à des fonctionnaires dont la logique est souvent insaisissable, voilà que, de retour en France, je m'essaie à l'administration française. Après seize années mexicaines, mes souvenirs de l'interaction avec les administrations étaient lointain et idéalisés. J'arrivai comme une fleur avec la certitude que tout ce que j'avais lu sur les sites internets était conforme à la réalité. Erreur de débutante (ou début d'Alzheimer précoce). Voici donc, en exclusivité pour Masiosarey, un carnet de bord ethnographique qui rapporte les démarches entreprises pour inscrire une petite franco-mexicaine dans une école élémentaire d'un grand arrondissement parisien. Précisons que -le détail a son importance- cette fillette a effectué toute sa scolarité dans le système éducatif mexicain et n'a jamais validé de cours de français.
Comme je suis une maman, inconsciente peut-être, mais prévoyante, j'avais quand même balisé le chemin. Une amie m'avait aimablement expliqué toutes les étapes à franchir (une lettre à la mairie pour prévenir de l'arrivée prochaine d'une mexicaine, une prise de contact avec la direction de l'école, puis une inscription physique à la mairie). La course d'obstacles pouvait commencer!
Premier obstacle : la temporalité
Tant que vous n'avez pas d'adresse définitive, pas la peine d'essayer d'initier la démarche. Vous ne savez pas encore dans quelle mairie et par conséquent à quelle école vous serez rattachés. Ainsi, pandémie mondiale aidant, le top départ de l'inscription a finalement été décalé fin juillet. Un peu inquiète des temporalités, (comprenez de me retrouver sans place à l'école), j'ai quand même préparé consciencieusement mon dossier : Livret de famille français (5 photocopies, on ne sait jamais), Carnet de santé français (1 photocopie parce qu'il y a beaucoup de pages), justificatif de logement, passeport (4 copies de celui de la petite et 1 copie du mien). Et comme l'espoir fait vivre, même dans l'administration, j'ai pris la peine de téléphoner au service scolaire de la mairie d'arrondissement pour vérifier si je ne pouvais pas dématérialiser toute cette paperasse et l'envoyer par le réseau mondial. Il paraît que le monde post-Covid sera un monde de l'internet... Et bien apparemment pas dans les services scolaires des mairies de Paris. Une charmante dame, peut-être la seule qui n'avait pas pris ses vacances en juillet, me rassure derechef : "Pas d'inquiétude, votre fille aura une place. Nous avons l'obligation de la scolariser au plus près de votre domicile"; "Vous ferez les démarches à la rentrée, pour le moment les directeurs d'école sont en vacance donc personne ne vous recevra" ; "Pas de soucis, une attestation sur l'honneur de votre hébergeur suffira pour justifier de votre domicile" ; "Elle n'a jamais été dans une école française? Vraiment, aucune préoccupation à avoir, les écoles ici sont vraiment bien..." Franchement rassurée et un peu fascinée par la facilité apparente du processus, j'achète dans la foulée les billets Mexico-Paris pour arriver une semaine avant la rentrée afin de rencontrer tout ce petit monde, de retour de vacance.
Deuxième obstacle: le bon bureau
Dès le lundi, je me précipite à l'école dont je devrais dépendre. Dès le départ c'est un peu la douche froide : à l'accueil, on me signifie que la directrice est bien dans les locaux mais qu'il faut prendre rendez-vous pour la rencontrer. Puis, tout à coup, le sourire se fige complètement sur le visage de mon interlocutrice: "Vous n'avez pas le certificat d'inscription? Ah mais dans ce cas là, madame, vous devez aller à la mairie. Attention, allez directement à la Caisse des écoles, ne passez surtout pas au Bureau de la scolarité". C'est un peu comme se trouver sur la case départ du Monopoly et de tomber sur la carte Chance qui vous envoie directement en prison sans passer par la case départ ni toucher les deux cents briques ! Je me précipite à cette fameuse Caisse pour constater qu'elle venait de fermer quelques minutes avant mon arrivée. Qu'à cela ne tienne ! Je m'accroche et décide d'y retourner à 15h00, heure d'ouverture. Un peu en avance, j'imagine siroter un café lorsque je me rends compte qu'une queue impressionnante commence à se former à l'entrée de cette maudite Caisse. Après une bonne heure d'attente, heureuse d'être du nombre des chanceux qui vont finalement passer, la préposée aux inscriptions m'indique clairement qu'ici on n'inscrit qu'à la cantine, pas à l'école. "C'est le Bureau de la scolarité qui s'en charge". Me revoilà donc à courir vers le Bureau, un peu énervée d'avoir perdu un temps si précieux simplement parce que j'avais suivi les conseils de la dame de l'accueil à l'école, mais cette fois, c'est le bon bureau. Une lueur au bout de mon couloir administratif s'allume !
Troisième obstacle: justifier d'un domicile
C'était sans compter sur la recevabilité des documents de mon dossier ! J'avais, en particulier, sous-estimé la difficulté de justifier d'un domicile. Dès lors que j'étais hébergée chez un particulier, je faisais partie des cas d'exception. Je ne souhaite à personne d'entrer dans la catégorie des "exceptions". Tout est soudain plus compliqué. Bien entendu, l'attestation sur l'honneur de notre hébergeur fonctionnait mais il manquait la mention de l'enfant (à refaire); le contrat avec EDF au nom de mon hébergeur ne fonctionnait pas, il fallait la dernière facture (compliqué car pour cause de Covid, mon hébergeur ne l'avait toujours pas reçue) ; et puis, il fallait une facture ou une lettre à mon nom, à cette adresse. Vous devinerez que cette information a été obtenue grâce à une détermination acquise par l'expérience. Car au premier document non conforme, la fonctionnaire arrête d'examiner votre dossier et veut visiblement vous faire jouer le rôle de la girouette en vous faisant revenir pour chaque document non conforme. Face à la difficulté, j'ai très sérieusement songé à cocher l'option "vit dans une caravane ou un hôtel" car les pièces justificatives exigées étaient nettement moins nombreuses.
Quatrième obstacle: le carnet de santé
Face à mon obstination, la fonctionnaire, de mauvaise grâce, regarde le reste des documents : "Ah mais les vaccins ne sont pas notés à la page où ils devraient." "Enfin, mon médecin les note consciencieusement à chaque visite depuis que ma fille est née !" ; "Oui, mais ils ne sont pas à la bonne page. Il faudra aller voir un médecin pour qu'il re-note tout au bon endroit". Là, j'avoue que le masque a caché à merveille le rictus contracté qui commençait à déformer mon visage. J'ai bien essayé de montrer, grâce au carnet de vaccination mexicain, que tout y était, je n'ai pu obtenir qu'un "on verra ça demain" dubitatif de la responsable.
Le saut d'obstacle un sport qui stresse mais paye...
Pour faire rapide, pour l'obstacle logement, votre hébergeur doit fondamentalement être sympa et réactif. Le soir même j'avais les nouveaux documents corrigés et une nouvelle facture de téléphonie mobile à son nom et à l'adresse. De mon côté, après avoir essayé de domicilier un abonnement de téléphonie mobile (échec lamentable car plus aucun site français n'accepte les paiements en ligne avec carte bancaire mexicaine), j'ai opté pour m'inscrire... à Pôle Emploi. J'ai découvert ainsi que l'ANPE n'existait plus... Alors là pour le coup, l'inscription a pu être entièrement réalisée en ligne et sans retard, j'obtenais dans la foulée l'attestation de mon inscription à l'adresse dite ainsi qu'un rendez-vous pour un entretien avec mon futur conseiller. Un peu comme le permis de conduire mexicain, comme dans une pochette surprise!
De bon matin, je retrouve mes connaissances de la veille pour reprendre notre petite joute administrative, avec de nouveaux éléments en main. Miracle, la responsable se souvenait de mon dossier. Elle saisit mes documents. Les examine avec attention, le sourcil froncé (mauvais signe même avec le masque) et se précipite dans le bureau de sa supérieure. Je n'ai pas pu déterminer à ce moment si les goutes de sueur qui perlaient sur mon front venaient A) de la chaleur B) du masque anti-Covid ou C) de la tension du moment mais les minutes m'ont paru définitivement longues. De retour à son bureau mon interlocutrice m'indique avec un clin d'oeil, "Pour cette fois nous allons EXCEPTIONNELLEMENT accepter la facture de téléphone mobile pour justifier de votre domicile". "Alors les vaccins... mais ils sont où?" D'un doigt un peu tremblant je montre que mon médecin a noté à chaque mois les vaccins et qu'ils correspondent tous aux vaccins listés dans le carnet mexicain. "Mais enfin, pourquoi votre médecin ne les a pas noter où il faut?" Je lui explique timidement que c'était déjà pas mal que mon médecin mexicain fasse l'effort de les noter dans le carnet français... "Mais, il ne parle pas français?" "Euh, non pas vraiment". "Alors encore EXCEPTIONNELLEMENT je prends la liste mexicaine" conclut-elle. Et je ressors victorieuse avec le certificat d'inscription sans passer par la case "visite médicale" !
Retour case départ
Dans la foulée, je décide de profiter de cette chance qui décidément tourne pour me précipiter à l'école avec mon certificat tout neuf. Vous l'aurez compris, le dernier obstacle reste - et c'est le cas aussi bien au Mexique qu'en France - l'Accueil. La dame du jour d'avant était toujours là, téléphone à la directrice, vérifie qu'elle est bien dans l'établissement et me dit: "Alors vous devez appeler la directrice pour prendre rendez-vous avec elle". Le jour d'avant j'avais précisé que je n'avais pas de téléphone en France (une imprévoyance lamentable, je l'avoue). "Si vous n'avez pas de téléphone, envoyez-lui un mail et elle vous répondra [peut-être] pour décider d'un rendez-vous". Je dois dire que l'expérience mexicaine nous apprend la persévérance: j'ai subtilement donné à entendre que puisqu'elle était en ligne avec la directrice et que j'étais moi-même présente physiquement à l'accueil, nous pourrions nous passer de l'étape "prise de RDV par mail ou téléphone", et directement accorder d'une date. Bingo, la directrice décide de me recevoir sur le pousse, et inscrit ma fille dans la foulée.
Et là encore, comme pour le permis de conduire mexicain, même si ma fille ne sait pas écrire le français et n'a jamais mis les pieds dans une école française, comme elle a un "certificat d'inscription" tamponné, tout neuf, elle rentre en CM2 sans plus de chichis. La vérification de son niveau scolaire est impossible "puisque tout est écrit en espagnol" !
© S. Ronda pour Masiosarey, 2020
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