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Le mezcal, "fascinant et complexe"


Voyage dans les coulisses de la production de mezcal, en compagnie du sociologue Domingo Garcia


©Mezcal Social Club, 2019

Chanté par Malcolm Lowry, Roberto Bolaño ou Thiéfaine, le mezcal fascine depuis longtemps écrivains et poètes. Depuis quelques années, il commence à se faire une place sur les cartes des bars à cocktails du monde entier, et séduit un public de plus un plus large. Pour comprendre les multiples facettes de ce spiritueux emblématique du Mexique, Domingo Garcia, sociologue mexicain installé en France depuis plus de vingt ans, s’est fixé comme objectif de déconstruire les discours dominants et de faire connaître le mezcal dans toutes ses dimensions : sociale, culturelle, historique, organoleptique* et environnementale.

Le marketing autour du mezcal "cache beaucoup plus de choses qu’il n’en révèle" (D. Garcia)

Le mezcal est-il vraiment un objet d’étude sérieux ? La question est sur toutes les lèvres lorsque Domingo Garcia parle de ses recherches. Et il faut bien croire que oui. Le mezcal, nous explique le sociologue, est un produit ancré dans la culture mexicaine, un produit traditionnel qui véhicule une identité forte et, par conséquent, un sujet de recherche tout à fait légitime… et passionnant. Aborder le mezcal d’un point de vue sociologique permet de mettre en lumière tous les enjeux liés à ce produit, et d’aller ainsi au-delà de la vision « un peu simpliste, folklorique et marchande » qui domine les discours habituels, pour identifier les causes et les facteurs du formidable essor que connaît cette boisson depuis une quinzaine d’années. « Quand j’ai commencé à étudier le mezcal, je n’ai pu trouver aucune explication satisfaisante au « boom » que la filière connaît depuis la moitié des années 2000 environ » explique Domingo García. « Il n’existait que des discours préconstruits, façonnés par le marketing, qui ont participé à construire un mythe autour du mezcal. Or cette présentation marchande cachait beaucoup plus de choses qu’elle n’en révélait. Pour comprendre l’histoire de ce produit, les raisons de son essor et de sa réhabilitation, sa mise en normes et les transformations juridiques et sociales concomitantes, j’ai eu besoin d’aller enquêter sur le terrain. » Ce long travail de terrain, auprès des maestros mezcaleros et des différents acteurs de la filière, lui a permis de saisir un point de départ fondamental : le mezcal que l’on produisait et consommait il y a cinquante ans est foncièrement différent du mezcal d’aujourd’hui.

« La véritable réhabilitation du mezcal passe par son adoubement aux Etats-Unis »

Jusqu’à la fin du XXème siècle, la grande majorité des producteurs étaient de simples bouilleurs de cru. Le mezcal qu’ils produisaient était largement stigmatisé, rejeté comme une boisson de « pauvres », d’« indiens ». Certains paysans cultivaient l’agave en complément de leur milpa**, pour fournir en mezcal leur communauté ou s’assurer un complément de revenus. La professionnalisation des producteurs de mezcal n’est arrivée qu’avec le XXIème siècle, grâce à l’apparition et la montée en puissance d’une demande aux Etats-Unis, puis en Europe. C’est l’augmentation progressive des exportations qui a changé, profondément, le regard que les Mexicains portaient sur le mezcal – peu à peu, le mépris s’est mué en une admiration assumée, et sa consommation est devenue une norme dans l’ensemble du pays. Le succès rencontré à l’étranger a apporté le processus de validation nécessaire à l’acceptation par les Mexicains.

©Masiosrey avec photo de Mezcal Social Club, 2019

Durant des décennies, le mezcal n’a été consommé que dans les communautés rurales, le plus souvent à l’occasion des fêtes religieuses. Dans les années 1990, le prix de l’agave est en chute libre, aucun débouché commercial ne se dessine et les producteurs travaillent à perte. Alors, racontent des maestros mezcaleros, un litre de mezcal se vendait parfois moins cher qu’un litre de coca-cola. Pour faire face, certains producteurs finissent par adultérer leur produit au mépris de toute prudence sanitaire, allant jusqu’à empoisonner des consommateurs. L’image du mezcal, déjà mauvaise, tout comme la filière ont beaucoup souffert de cette crise de confiance. A cette époque, nombre de producteurs cessent de planter de l’agave, et des familles entières de mezcaleros choisissent l’émigration aux Etats-Unis pour construire un autre avenir. Sur la plupart des terres où se cultivaient les agaves ne restent que les abuelos, des producteurs trop âgés pour tenter l’aventure au Nord, qui continuent à produire en petites quantités.

Autour des années 2000, une nouvelle génération de mezcaleros fait pourtant le pari de la (re)valorisation de ce produit. La dénomination d’origine « mezcal » est homologuée en 1994. Trois ans plus tard, la première Feria del Mezcal est organisée, pour promouvoir la production de mezcal de l’Etat de Oaxaca. Toutefois, la véritable réhabilitation du mezcal passe par son adoubement aux Etats-Unis. C’est auprès de ces consommateurs en demande de « produits du terroir » et d’ « authenticité », lassés d’une tequila industrielle et dénaturée par la standardisation, que le mezcal trouve enfin son public en se positionnant comme une alternative originale à la téquila, véhiculant un imaginaire fort de boisson traditionnelle et culturelle. En jouant habilement sur son image sulfureuse (par l’ajout d’un gusano*** au fond des bouteilles par exemple), une communication habile lui assure un succès grandissant et, surtout, offre un nouveau départ aux producteurs et aux régions productrices. Les années 2000 et 2010 voient ainsi fleurir les marques de mezcal et les certifications, en même temps que les nouveaux marchés.

Les effets du succès sur le terrain

Cette croissance à rythme soutenu et le nouveau dynamisme du secteur du mezcal ont eu des impacts très forts, tant positifs que négatifs, sur les communautés productrices et sur l’environnement. D’un côté, explique Domingo García, « la forte croissance de l’activité permet à des paysans de trouver une nouvelle source de revenus en se dédiant à l’élaboration d’un produit avec une certaine valeur-ajoutée (ce qui n’était pas le cas avec l’agriculture traditionnelle et familiale). A partir du moment où les producteurs ont commencé à transformer leur mezcal eux-mêmes, ils se sont libérés des contraintes fixées par les producteurs de tequila à qui ils vendaient jusqu’alors une partie de leur production d’agave, à des prix dérisoires. Tout cela permet de créer de l’emploi, bien souvent précaire, certes, mais de l’emploi tout de même. Et, peu à peu, la production de mezcal s’impose comme alternative crédible à la migration. C’est également un levier touristique, dans une région comme Oaxaca qui mise énormément sur les revenus du tourisme pour se développer ».

Cependant, poursuit Domingo García, le « boom » du mezcal exerce également une forte pression sur l’environnement. « La déforestation pratiquée pour fournir le bois nécessaire à la production ou pour dégager des espaces de culture de l’agave », tout comme la monoculture, « qui remplace progressivement les cultures partagées traditionnelles », déséquilibrent profondément les écosystèmes. Sans compter que « la tendance à la monoculture crée à son tour une menace d’un genre nouveau pour la filière : l’agave devient plus vulnérable aux épidémies » : exactement comme dans les plantations d’agave tequilana du Jalisco. Aujourd’hui, selon Domingo García, il est « nécessaire et urgent de prendre des mesures pour diversifier les espèces d’agave », car cet équilibre fragilisé représente un risque environnemental, mais aussi socioéconomique pour les communautés productrices.


©Mezcal Social Club, 2019

Comprendre et agir

Récemment, Domingo Garcia a décidé de passer le pas. Il conjugue aujourd’hui ses recherches, on ne peut plus sérieuses, sur la filière du mezcal, avec un engagement sur le terrain. Il est à l’origine d’une pétition réclamant la création de dénominations d’origine régionale, pour mettre fin aux incohérences suscitées par la situation actuelle : une seule et unique dénomination d’origine « mezcal » à la fois bien trop vaste pour avoir un sens réel, et bien trop arbitraire pour assurer la protection de tous les producteurs. Lors de ses séjours au Mexique, il propose également des voyages de découverte du mezcal, au cœur des Valles Centrales de Oaxaca. Pendant une ou deux journées, il emmène avec lui quelques curieux, amateurs de mezcal ou touristes de passage, visiter des palenques (micro-distilleries) indépendants et artisanaux, pour leur raconter l’histoire en train de s’écrire de cette boisson hors norme. Cette plongée au cœur de l’élaboration du mezcal passe par les champs d’agaves et les cuves de fermentation, par les alambics et les fours coniques, avec un objectif simple : soutenir les petits producteurs indépendants, dont la qualité de travail ne suffit pas toujours à accéder aux réseaux de distribution, et contribuer à une meilleure du mezcal, ce « produit fascinant et complexe ». Car le mezcal, insiste Domingo García, « mérite qu’on connaisse la vérité à son propos. Se contenter de sa légende n’est pas lui rendre hommage ».

Carmen Bailly pour ©Masiosarey, 2019

Circuits personnalisés à Oaxaca, Mezcal Social Club, en compagnie du sociologue Domingo Garcia. Informations et réservations domgarci@gmail.com

+ 52 1 555 470 1226

+ 33 7 71 26 35 00

 

* On qualifie d'organoleptique tout ce qui est susceptible de stimuler un récepteur sensoriel. L'apparence, l'odeur, le goût, la texture ou encore la consistance constituent les qualités organoleptiques d'un aliment ou d'une boisson.

** La milpa est un petit écosystème familial combinant principalement la culture de trois espèces (maïs, haricots et courge), complémentaires dans leur utilisation des sols. Il s’agit du plus ancien modèle agricole de la Méso-Amérique. La milpa reste très utilisée de nos jours.

*** La chenille du chilocuil, un papillon de nuit parasite de l'agave


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