Puebla, la ville aux 100 concerts!
L’Alliance française de Puebla aime les défis. Et pour cette fête de la musique 2018, le défi était de taille : réunir une centaine de groupes de musique dans 19 lieux. Puebla, capitale de la musique ? Ce 23 juin, oui !
Des lieux fermés ou ouverts, une large gamme de genres musicaux, des jeunes (et des moins jeunes !) musiciens, un centre de Puebla toujours plus pimpant : les conditions étaient réunies pour que cette journée du 23 juin soit un véritable succès musical ! Une journée qui a commencé de bonne heure (juste après le match de la sélection nationale contre la Corée du sud, bien entendu !) et s’est terminée tard dans la nuit. Grâce à l’énergie sans faille des membres de l’AF de Puebla, soutenus par de nombreux volontaires, qui ont orchestré l’évènement, en faisant preuve parfois de dons d’ubiquité insoupçonnables !
Si la pluie ne s’en était pas mêlée, le succès aurait été complet. Sous les coups de 18h00, une trombe tropicale a malheureusement obligé les organisateurs à annuler les concerts à ciel ouvert. Huit groupes n’auront pas la possibilité de faire swinger le public. Mais qu’à cela ne tienne, les lieux fermés prendront le relais. Dans des ambiances très différentes, il était possible de continuer à se régaler de rythmes de « surf », de « shoegaze », d« etno-électronique » ou encore de « folklore latino-américain ».
Installer durablement la fête de la musique à Puebla
Décidément, l’AF de Puebla prend au sérieux sa mission de diffusion culturelle et ne ménage pas ses efforts pour s’inscrire dans le panorama culturel local. L’édition 2017 de la Fête de la musique avait déjà associé 14 espaces publics et privés à Puebla. Cinq de plus en 2018, voilà la preuve du succès de la Fête de la musique dans la ville.
S’implanter demande de l’énergie. Et du temps. Car ce succès est aussi la consécration d’un long travail avec et auprès des différents acteurs culturels de la ville. « Les premiers lieux s’être associés à la Fête de la Musique étaient avant tout des partenaires proches. Des institutions publiques, ou certains privés avec qui nous avions coopéré pour d’autres évènements. Dernièrement, nous avons aussi lancé un appel plus large, diffusé dans les réseaux sociaux et les médias comme la radio. » nous indique Francisco, Coordinateur des relations publiques et de l’attention aux médias de l’AFP. Et l’appel a, de toute évidence, été entendu.
Quant aux intervenants (pas moins de 100 groupes), comment l’Alliance française s’y est-elle prise pour mobiliser aussi largement ? Francisco explique que 70% d’entre eux ont répondu à un appel à candidature. La toute première (et principale) condition : proposer un répertoire original et suffisamment ample pour tenir 40 minutes sur scène. « Nous n’avons pas imposé de restrictions quant au genre musical. Nous sommes restés très ouverts ». Les 30 % restants étaient des groupes proposés par les lieux participants et qui correspondaient souvent mieux à leurs espaces et à leurs publics.
Et le bouche à oreille fonctionne car, chaque année, de plus en plus de groupes veulent être de la partie. Aujourd’hui, il manque des lieux, notamment privés, pour que la manifestation puisse suivre l’offre musicale et croître encore. Et, à ce stade, l’AF se trouve face à un dilemme. Car, il faut bien l’avouer, la concentration des concerts dans le centre historique est particulièrement pratique pour le flâneur, qui peut passer d’un espace à l’autre tout en profitant de la ville. Grandir s’est aussi prendre le risque de disperser le public. Mais ce risque, l’AF l’assume : « il s’agit d’amener la musique dans les lieux que fréquentent habituellement les gens » explique Francisco.
Dans le centre justement, deux espaces à l’air libre constituent un axe musical : une scène principale a été montée au cœur de l’Atrio de San Francisco ; une autre dans le quartier appelé Barrio del Artista, à quelques pas du marché d’artisanat El Parián. A chaque fois, c’est l’AF qui se charge de négocier l’installation avec les autorités locales. « On est heureux de voir le public profiter du spectacle, mais les gens n’imaginent pas l’organisation que nécessite un évènement de cette envergure ! » nous confie la directrice de l’AF, Emilie Flesch, qui garde un œil attentif sur ce qui se passe dans l’Atrio de San Francisco. Une organisation qui repose sur plusieurs acteurs, comme –dans ce cas précis– la paroisse de San Francisco, la « Gérence » du centre historique, mais aussi la BUAP (Benemerita Universidad Autonoma de Puebla) qui prête une partie du matériel.
Volontariat et enthousiasme!
Gratuité ! Voilà le mot d’ordre pour les organisateurs. « Pas question de faire payer les spectateurs. Il s’agit d’un effort de diffusion de la musique et de la culture », insiste Francisco. Avant de préciser : « Nous n’acceptons pas que certains lieux profitent de la bonne volonté des musiciens pour faire payer les entrées. Les groupes ne sont pas payés. Mais nous essayons de les soutenir, avec des repas, de la diffusion et beaucoup d’enthousiasme ».
Et puis, cette année, un concours, organisé en coordination avec l’Ecole d’arts plastiques et audiovisuels de la BUAP, récompensera un des groupes participants. Le lauréat se verra offrir la possibilité de réaliser un clip vidéo.
« Un peu de tout, pour tous »
Le mélange des genres est sans nul doute décapant, voire déroutant. Et face à la diversité, il est bien difficile d’être exhaustif, surtout face à des genres musicaux dont le mystère reste entier pour le non initié. Ainsi regrettons-nous de ne pas avoir eu l’occasion d’écouter le rock ou le fusion blues préhispaniques ou encore le folk bossa, la Trova Indie ou le bolero rock.
Francisco sourit en expliquant : « En premier lieu, l’éclectisme vient de ce que les groupes proposent, de la manière dont ils s’auto-nomment. Mais nous avons aussi fait un effort pour regrouper les genres et les programmer à différents moments de la journée. Dans l’idée de proposer quelque chose d’alternatif, d’intéressant : un peu de tout, pour tous. »
De tous les genres (musicaux) et de tous les âges. Avec notamment de très jeunes musiciens, à peine sortis de l’adolescence, à l’image des membres du groupe Doroteo, qui proposent un concert de rock tout ce qu’il y a de plus traditionnel dans l’ambiance feutrée de l’AF de Puebla. Ils avaient répondu à l’appel d’offre lancé par l’AF et comptent bien, un jour, percer dans la musique professionnelle. Des groupes qui parfois aussi se réunissent juste pour l’occasion et dont les membres souvent sortent du conservatoire.
Sur la scène du Barrio del Artista, les concerts se succèdent. La Tatuza, un groupe énergique, réussit à faire « pogoter », parfois assez violemment, les fans, visiblement pas vraiment millennials. Quand le groupe Argentin Faboulous Cadillacs, rencontre les mexicains de El Gran Silencio ou de Molotov cela donne La Tatuza ! Et, effectivement, le contraste entre l’architecture coloniale, typique de Puebla –qui fait parfois ressembler les édifices à des gâteaux à la crème–, et le son puissant du ska est saisissant. Et puis, tout à coup, changement de rythmes et nous voilà transportés au far west nord-américain. Il ne manque que les robes pour organiser un square dance. Puis arrive encore un groupe de « spooky Scary metal », Diabla Inc. de Toluca ! Chaire de poule, en effet, surtout lorsque les membres du groupe arrivent affublés de masques plus effrayants les uns que les autres et commencent à entonner « Te vas a morir »...
Et là Tlaloc se réveille !
Le bar El Cerdo piquante sert de refuge de fin de soirée. Un groupe épatant de rock alternatif vient clore cette journée, décidément très rock. LMTS (entendez Elementos) est constitué par une petite bande de fringuants « vingtenaires », dont une jeune femme à la basse, tous originaires de Puebla. LMTS est convaincu (et convaincant) : le rock fait toujours vibrer les jeunes générations. Aujourd’hui, les jeunes ont « l’opportunité de choisir ». Et ce même s’il existe malgré tout « un discours musical imposé par les grandes multinationales de la musique, et porté par le rap ou le reggaeton. Un discours consumériste à outrance », qui ne célèbrent que les meilleures ventes, explique le (très) jeune chanteur et guitariste. Les influences de LMTS ? Elles viennent des années quatre-vingt-dix : les Red Hot Chili Peppers, Muse, Café Tacuba, Soda Estereo... « C’est ce qui nous enchante » précise-t-il. Un groupe à guetter et à découvrir à partir du 15 juillet sur toutes les bonnes plateformes de musique. Quant à nous, nous ne résistons pas au plaisir de reprendre un de leurs refrains, aux paroles très rock :
« Decides bien o decides mal,
Te portas bien o te portas mal,
Te vistes bien o te vistes mal.
Para bien o para mal,
Todos acabamos en el mismo lugar ».
Puebla la surprenante, Puebla la musicale?
Loin des préjugés sur une ville que l’on imagine souvent conservatrice, voilà une scène musicale bien campée et assumée, qui n’hésite pas à lancer du son contre les murs soignés des maisons coloniales. Des murs malheureusement plutôt habitués aux tremblements de terre...
Une manifestation qui se sera déroulée dans l’esprit de la Fête de la musique en France, avec ce savant mélange de groupes et musiciens, amateurs parfois, professionnels souvent. Et même avec la pluie en invitée surprise (ce qui arrive périodiquement surtout dans le nord de la France).
Il y avait cependant un grand absent ce samedi 23 juin à Puebla : le reggaeton, pourtant tellement en vogue… Ainsi la Fête de la musique de Puebla aura-t-elle démontré qu’il y a une vie sans reggaeton, que la scène rock est toujours aussi vivante. La musique rapprocherait-elle les générations ? La réponse est oui lorsque l’on écoute les jeunes de LMTS ou que l’on voit des adolescents « pogoter » avec leurs papas…
©Masiosarey, 2018