Une action affirmative pour les droits politiques indiens dans 13 circonscriptions électorales en 20
Si ces circonscriptions « ethniques » ne sont pas des nouveautés (le principe a été introduit en 2004), les mesures d’action affirmative en matière de représentation politique qui leur sont désormais attachées, elles, le sont.
Fin 2017, alors que l’actuel processus électoral prenait son envol, l’Institut National Electoral (INE) puis le Tribunal Electoral du Pouvoir Judiciaire de la Fédération (TEPJF) ont imposé que dans 13 des 28 circonscriptions « indiennes* » aujourd’hui recensées au Mexique (sur un total de 300 circonscriptions électorales fédérales), les partis politiques auront désormais l’obligation de présenter des candidats « indiens » pour les élections législatives fédérales. Ou pour, être plus précis, des candidats et des candidates indien(ne)s, car pas question de déroger au principe de parité homme/femme progressivement (et, parfois, un peu chaotiquement) imposé à partir de 1993**. Après avoir considérablement avancé sur le plan de la parité en politique, le Mexique se dote donc, pour la première fois, de mécanismes affirmatifs pour les minorités ethniques.
Mais reprenons les choses depuis le début. En 2004, afin de compenser la constante sous-représentation politique des citoyens indiens au niveau national, l’INE (alors IFE) décide de biaiser un peu les cartes et de tracer des circonscriptions maximisant –dans la mesure du possible– le poids démographique de populations d’un même groupe linguistique « minoritaire ». L’idée est simple : plus ces citoyens seront regroupés et nombreux, plus ils auront de chance de voter et de faire élire des candidats les représentant.
Toutefois, les résultats sont mitigés. Tout d’abord, en voulant bien faire, l’organisme électoral a fait, d’entrée de jeu, un pari mathématique risqué. Partant du principe que l’ensemble des communautés et peuples parlant une langue indienne représentaient à l’époque un peu moins de 10% de la population nationale***, l’INE décide de transformer une proportion égale de circonscriptions électorales en circonscriptions « indiennes », soient un total 28 sur 300.
Mais voilà, la population indienne mexicaine se distingue justement pour sa très grande dispersion territoriale (seule une moitié (55%) est effectivement regroupée au sein de régions géographiquement cohérentes). Et, dès lors, l’exercice devient un casse-tête. Bien souvent, faute de pouvoir constituer des territoires comptant avec une indiscutable sur-représentation ethnique, la barre doit être baissée à 40% d’habitants parlant une langue indienne pour qu’une circonscription soit déclarée indienne. Autre conséquence de cette volonté de maximisation géographique, certaines circonscriptions électorales autrefois historiquement indiscutablement mayas, nahualts ou mixtèques sont scindées pour créer deux circonscriptions « indiennes », affaiblissant du même coup le poids des électeurs indiens des deux côtés. A cela, s’ajoute enfin le phénomène migratoire qui, au fil des années, dépeuple progressivement de nombreuses zones rurales et peu développées, indiennes justement, minorant encore le poids démographique de ces secteurs sur le terrain. Par principe, les 28 circonscriptions indiennes sont malgré tout maintenues au fil des recensements et des actualisation de la carte électorale, mais dans les faits elles sont loin d’être toutes majoritairement indiennes.
Plus encore, cet effort, pourtant louable, a eu un résultat paradoxal : le nombre de députés fédéraux indiens a, à nouveau, diminué depuis l’instauration des circonscriptions indiennes (immédiatement après la réforme, un record avait été atteint avec 18 députés fédéraux indiens, mais ce chiffre est rapidement retombé à 10 lors des élections législatives de 2012 et 2015).
En effet, jusqu’en 2017, l’instauration de ces circonscriptions indiennes n’impliquait aucune obligation pour les partis politiques, qui restaient libres de présenter qui bon leur semblait dans ces circonscriptions. Selon les promoteurs de l’initiative, le seul fait de concentrer les votes de citoyens indiens devait transformer le rapport de force sur le terrain et aboutir logiquement à l’élection de candidats indiens. Mais, comme tous les mexicains, les électeurs indiens se caractérisent par des affinités et des rationalités politiques diverses, qui peuvent évidemment dépasser le seul critère éthnique. Par ailleurs, même si tous ces électeurs tombaient d’accord, leur chance de faire élire leur candidat –alors qu’ils ne représentent souvent qu'à peine 40% de la population totale d’une circonscription– reste somme toute limitée.
Dès lors les récentes mesures affirmatives décidées par l’INE et le TEPJF prennent tout leur sens. En sélectionnant 13 circonscriptions « prioritaires » parmi les 28 circonscriptions « indiennes » –choisies pour rassembler, cette fois, plus de 60% de population parlant une langue indienne– les deux institutions électorales ont tout d’abord recentré leur effort et redonné une réalité démographique au concept même de « distrito indígena ». En obligeant les partis politiques à y présenter des candidats indiens pour les élections législatives fédérales à venir, elles ont également forcé le jeu pour s’assurer qu’au moins 13 députés indiens siègent à l’assemblée nationale à partir de la rentrée prochaine. Enfin, en ajoutant une obligation de parité (au moins 6 de ces 13 candidats doivent être des femmes indiennes), l’INE et le TEPJF ont garanti l’application des principes de parité.
Bref, un tiercé gagnant sur le papier et un bel exemple de réajustement de l’action publique. Reste désormais à voir quels seront les effets de ces mesures affirmatives sur le terrain et leurs résultats au lendemain des élections du 1er juillet prochain. Masiosarey suivra évidemment ce dossier...
©Masiosarey, 2018
* Nous prenons le parti d’employer la terminologie « Indien » pour traduire « indígena » pour les raisons suivantes : a) la traduction stricte, « indigène », est porteuse d’un autre sens en français de France, faisant notamment référence à l’époque coloniale. Par ailleurs, « indigène » signifie « celui qui vit sur un lieu donné » (et non pas celui qui y est né et qui l’occupe depuis des générations, qui serait alors l’ « autochtone ») ; b) de très nombreux textes universitaires et scientifiques, ainsi que de nombreux articles de presse, emploient le terme « indien » pour désigner les populations autochtones du Mexique dans leur ensemble, comme groupe démographique (malgré leur évidente diversité) ; ce terme fait donc sens pour la plupart des lecteurs ; bien plus que celui d’ « autochtone » justement.
** Le principe de parité homme/femme a pour la première fois été introduit dans les règles du jeu politico-électoral mexicain en 1993, sans toutefois avoir, alors, de caractère obligatoire. Il sera ensuite progressivement précisé, consolidé (et assorti de sanctions) au fil des réformes de 1996, 2002, 2008 et 2014.
*** La liste électorale ne mentionne pas les origines ethniques des citoyens mexicains. Pour dessiner les circonscriptions électorale « indiennes », l’INE se base donc sur les estimations réalisées par la Comisión Nacional para el Desarrollo de los Pueblos Indígenas (CDI) à partir des recensements de l’INEGI réalisés tous les 10 ans. La CDI inclue dans ses estimations, non seulement les personnes déclarant parler une langue indienne, mais également les membres de leurs familles qui habitent dans le même foyer. La projection dépasse donc les seuls électeurs.
Ces 13 circonscriptions indiennes se trouvent des les états du Chiapas,(5), du Oaxaca (2), du Yucatan (2), du Guerrero (1), de Veracruz (1), de Hidalgo (1) et de San Luis Potosi (1),