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Comment et pourquoi les très grandes villes fonctionnent-elles (malgré tout)?


Fragmentation, informalité, ingouvernabilité et auto-régulation des métropoles... une terminologie en vogue dans de nombreux débats sur la ville, qui amène inéluctablement à une interrogation légitime : il y a-t-il un (ou plusieurs) pilote(s) dans l’avion ? La présentation et la lecture du livre Gobernando la Ciudad de México, dirigé par Patrick Le Galès et Vicente Ugalde, nous rappelle fort à propos que la complexité des phénomènes urbains s’accommode difficilement des solutions «prêtes à l’emploi» ou parfois simplistes, régulièrement entendues en ces temps électoraux…

Couverture du livre El Colegio de México

Il y a-t-il un pilote dans l’avion ?


Une question certes un peu angoissante mais d’actualité, pour un projet lancé il y a une petite dizaine d’années simultanément dans plusieurs villes de la planète : Paris, Londres, Sao Paulo et... Mexico. Poser de nouvelles hypothèses de travail, constituer de solides études de cas et impulser des réflexions comparatives : la proposition du projet WHIG (What is governed and not governed) est ambitieuse, mais sans aucun doute nécessaire à l’heure où 54% de la population mondiale vit en ville et où 78% des mexicains sont urbains (voir l’entretien que Patrick Le Galès avait donné à Masiosarey en juin dernier).


Au Mexique, El Colegio de México et Sciences Po Paris poursuivent depuis 2012 une fructueuse collaboration en sociologie urbaine. Echanges de professeurs, colloques et enseignements communs sont organisés en alternance, soit à Mexico, soit à Paris. Et, à la rentrée prochaine, les deux institutions inaugureront un double diplôme en études urbaines validé par ScPo Paris et El Colegio de México. Mais, vendredi soir, le motif de satisfaction collective était la parution et présentation de l’ouvrage Gobernando la Ciudad de México. Lo que se gobierna y lo que no se gobierna en una gran metrópoli, le 2ème issu du projet WHIG, en présence du coordinateur du projet, Patrick Le Galès, et de sa contrepartie mexicaine, Vicente Ugalde, spécialiste de droit environnemental au Colegio de México, ainsi que de plusieurs des chercheurs associés à ce projet et au livre.


Une présentation dense mais passionnante, notamment pour ceux qui, comme nous, sont décidément urbains mais pas (du tout) spécialistes de la ville.



Les métropoles écriront l’histoire du XXIème siècle


C’est Enrique Cabrero, actuel président du CONACyT, spécialiste en administration publique et auteur de l’épilogue de cet ouvrage, qui pose peut-être le plus clairement les données du problème. Aujourd’hui, note-t-il, ce sont les métropoles et les réseaux qu’elles constituent qui impriment le rythme des évolutions de nos sociétés contemporaines. Développement économique, transformations politiques et sociales, les grandes villes écriront l’histoire du XXIème siècle, bien plus que les états-nations. Et pourtant, à l’image de la CDMX, ces métropoles sont aussi des ensembles humains extrêmement complexes : des « villes jamais complètement gouvernées » résume Enrique Cabrero, qui se caractérisent avant tout par leur très forte fragmentation.


De par leur taille, les grandes villes sont en effet le théâtre d’une lutte constante pour articuler encore et encore une infinité de tendances « centrifuges », qui vont justement dans le sens de l’éparpillement. Des tensions multiples (entre légal et illégal, organisé ou non, public et privé, etc.) que nous observons effectivement tous au quotidien, dans des domaines aussi divers que les transports, le commerce ambulant, la construction ou encore la gestion des ordures... Dans un tel contexte, explique Enrique Cabrero, la solution de gouvernance la plus efficace –et la seule peut être?– est la « régulation douce » (regulación suave), une gestion minimale et fonctionnelle, en permanente adaptation à la réalité (ou plutôt aux multiples réalités de la ville). Dans le cas de la CDMX, précise-t-il encore, cette « régulation douce » ne se transforme jamais complètement en système de gouvernance en bonne et due forme car les résistances corporatistes et clientélistes sont fortes, mais elle assure une certaine stabilité. Et pour preuve, la CDMX « fonctionne »...

La mégalopole ingouvernable ?


C’est justement sur cette idée d’équilibre subtil entre chaos et régulation qu’insiste Julie-Anne Boudreau, politologue à l’Institut de géographie de la UNAM, pour s’interroger sur le concept même de gouvernabilité. La ville est fragmentations, dit-elle, ruptures, incertitudes et chaos. Et là où les institutions peinent, la capacité humaine prend le relais. En d’autres mots, l’auto-régulation et l’action collective sont sans doute plus déterminantes pour la stabilité de la métropole que ne le sont les cadres juridiques et les politiques publiques. D’autant plus que de nombreuses tensions ne peuvent être résolues depuis le seul niveau municipal, mais s’inscrivent (aussi) dans des interactions avec d’autres niveaux de gouvernement ou avec des acteurs non gouvernementaux, complexité que le thème de la sécurité illustre bien. Toutefois, attention, conclut-elle, le chaos sous contrôle n’est pas ingouvernabilité. La métropole produit plutôt une gouvernabilité particulière : en partie invisible, limitée et non linéaire. Un « continuum » de gouvernabilité, allant d’une action institutionnelle évidente à une présence imperceptible.



« Régulation douce », gouvernabilité invisible...


Boris Graizbord, géographe et urbaniste au Colmex, rebondit lui aussi sur l’idée de continuum de gouvernabilité. Opposer gouvernabilité et ingouvernabilité (et penser qu’ingouvernabilité équivaut à absence de gouvernement) est une impasse analytique pour qui voudrait comprendre la CDMX. Plus généralement, ajoute-t-il, ces dichotomies ont finalement peu d’utilité pour penser la métropole. La gestion d’une grande agglomération repose au contraire sur une série d’arrangements plus ou moins légitimes, de mécanismes de persuasion et de fenêtres de tolérance institutionnelles, mais aussi de conditions plus ou moins incontournables imposées par les différents acteurs. Mélant bonne humeur et une pointe de provocation, Boris Graizbord ne revient toutefois pas sur l’hypothèse, véritablement polémique pour le coup, lancée par Enrique Cabrero : et si la fragmentation urbaine avait, aussi, une fonctionnalité... Et si elle était en partie entretenue par certains intérêts qui en tireraient profit? Sur ce point, nous resterons donc sur notre faim.


Pour conclure la présentation, les deux coordinateurs de l’ouvrage, Patrick Le Galès et Vicente Ugalde, reviennent sur le travail effectué, depuis plus de deux ans dans le cadre de cet ouvrage, pour aiguiser notre regard sur la ville de México et ses multiples dimensions, et sur celui qui reste à faire pour explorer les multiples problématiques encore en friche : la question de l’eau, celle de la fiscalité, le rôle des élites, etc... A quand le volume 2 ?



Si vous voulez tout savoir (ou presque) sur la CDMX :


Cet ouvrage collectif est constitué 16 chapitres consacrés à l’analyse de pans très précis du fonctionnement d’une métropole telles que la gouvernance de la sécurité dans la CDMX (Arturo Alvarado et Diane E. Davis & Guillermo Ruiz de Teresa), l’économie nocturne (Alejandro Mercado Celis), le commerce informel (Verónica Crossa), les incitations à la compétitivité (Jaime Sobrino), l’infrastructure routière et les questions de mobilité et de transports (Sofya Dolútskaya, Priscilla Connolly et María Eugenia Negrete), la gestion des déchets (Vicente Ugalde) ou encore les politiques de logement et les logiques immobilières (Martha Schteingart et Louise David et Clara Salazar). Deux autres chapitres s’intéressent spécifiquement à deux quartiers emblématiques de la ville : Santa Fe (Sergio Puente) et le centre historique (Stéphanie Ronda). Enfin, un article, plus transversal, revient sur les logiques d’arrangements institutionnels (Ana Díaz Aldret y Dionisio Zabaleta Solís). Le chapitre co-écrit par les deux coordinateurs du livre explique la démarche conceptuelle qui a permis de réinterroger les travaux de chercheurs, qui travaillaient sur la ville, mais à partir d’approches et de disciplines très différentes.

@Masiosarey, 2019

 

Gobernando la Ciudad de México. Lo que se gobierna y lo que no se gobierna en una gran metrópoli, Vicente Ugalde et Patrick Le Galès (Coords), El Colegio de México, 2018.

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