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Masiosarey

Qui était Gaspar Yanga ?


Malheureusement peu documentée, l’histoire de cet homme d’origine gabonaise a pourtant marqué l’histoire du Mexique colonial.

Wikimedia Commons. Museo de Palmillas, Yanga, veracruz


Alors que le magazine Gabon Review (19/04/2018) et Radio Gabon viennent de lui consacrer article et reportage, Masiosarey ne pouvait laisser passer l’opportunité d’en savoir un peu plus sur ce héros du cimarronage. Entre 1519 et 1810 environ, la Couronne espagnole autorise et favorise l’importation d’esclaves –pour la majorité africains– dans ses colonies américaines. Plus résistants que les indiens, alors démographiquement affaiblis par les guerres et les épidémies, habitués aux durs climats tropicaux, les esclaves africains représentent une main d’oeuvre idéale pour ces régions agricoles en pleine expansion. Ils débarquent à l’époque (au XVIe siècle) dans le Veracruz et sont principalement envoyés dans les exploitations de canne à sucre de la région. En 1570, on compterait déjà plus de 20.000 esclaves africains au Mexique*.


Mais les conditions de vie de ces hommes et femmes sont terribles. Les insurrections sont récurrentes et l’évasion est pour beaucoup la seule option possible. Les fugitifs, repris de justice (l’évasion d’un esclave est alors considérée comme une atteinte grave aux lois de la propriété), se cachent alors dans les montagnes, où ils s’organisent en communautés et vivent de la chasse, de la pêche, de la petite agriculture. Ils deviennent aussi, de temps à autres, bandits de grands chemins et ponctionnent une part des richesses qui transitent entre les ports et la capitale de la Nouvelle Espagne. On les appellent les cimarrones : ceux qui vivent dans les cimes, dans les recoins les plus inaccessibles des forêts tropicales. Les années passant, le cimarronaje devient une forme de résistance face aux abus de la couronne et des grands propriétaires locaux. Gaspar Yanga serait le premier « roi » des cimarronnes au Mexique...


Gaspar Yanga est né au milieu du XVIe siècle, probablement au Gabon (certaines sources situent son origine dans le sud de l’actuel Sénégal). Fait prisonnier assez jeune, il est envoyé comme esclave au Mexique. Il est alors baptisé Gaspar, mais se fait appeler Yanga, prince. Il s’échappe en 1570 (ou en 1579 selon les sources) et organise une communauté rebelle dans les contreforts de la Sierra Zongolica. A partir de là, il multipliera les coups d’éclat et les expéditions punitives dans les exploitations pour libérer les esclaves et semer la panique. Au fil d’une trentaines d’années de « maquis », Gaspar Yanga se fait connaître et rassemble autour de lui et de son successeur désigné, le jeune Francisco de la Matosa, un groupe toujours plus large d’anciens esclaves bien décidés à défier le système qui les opprime. A tel point, qu’en 1609, la rumeur court que les cimarrones de Yanga s’apprêtent ni plus ni moins à renverser les représentants de la couronne espagnole. Le vice-roi, qui prend l’affaire au sérieux mais qui est surtout fort fâché des attaques à répétitions perpétrées sur les routes commerciales passant par Orizaba, envoie alors 500 hommes pour reprendre le contrôle de la région.


A partir de là, les versions divergent. Selon certaines sources, les cimarrones de Yanga résisteront 9 années (ou 18, selon les récits) avant de rendre les armes. Mais d’autres sources avancent qu’après plusieurs batailles menées dans la montagne par le jeune Francisco de la Matosa, Yanga –qui approche alors de la soixantaine– aurait finalement conclu un pacte de rédition, grâce à la médiation des jésuites qui accompagnent les troupes espagnoles. Les rebelles cimarrones déposent les armes mais, en contrepartie de leur liberté, la leur et celle de leurs descendants. Ils obtiennent de surcroît la reconnaissance par la couronne d’une terre, puis d’un bourg libre du joug espagnol et métisse, San Lorenzo de los Negros (devenu la commune de Yanga en 1930) à une quinzaine de kilomètres de la ville de Cordoba. Gaspar Yanga, l’ancien esclave, aura réussi l’impossible : la constitution du premier bourg libre d’Amérique**.


Si, faute de traces écrites, la piste de Gaspar Yanga est difficile à suivre, sa fin est encore plus floue. Car, là encore, les versions se contredisent. Certaines affirment qu’il disparaît en 1609 alors que ses troupes résistent aux espagnols. Selon d’autres récits, il serait mort deux ou trois ans plus tard, de façon mystérieuse, devant la porte de l’église du bourg libre de San Lorenzo... ou alors peut être exécuté entre 1618 et 1619 par des hommes de mains de propriétaires locaux. Enfin, d’autres versions lient sa mort à la mystérieuse « conspiration des trente-trois », début mai 1612***.


A San Lorenzo de los negros, la « petite indépendance » (« la independencia chiquita ») cimarrone de Gaspar Yanga se maintiendra avec difficulté face à l’expansion territoriale et économique espagnole et créole. En 1746, cette communauté comptait encore quelques 70 familles « noires » libres. Mais, avec les années, le métissage s’est opéré, avec les populations nahuas d’une part, mais aussi avec les métis. Et San Lorenzo est progressivement devenu un bourg « pardo », tri-racial.


C’est au journaliste, historien et homme politique Vicente Riva Palacio (1832-1896) que l’on doit la réhabilitation de Gaspar Yanga et surtout son inscription dans l’histoire populaire nationale, une cinquantaine d’années après l’Indépendance. Puis il faudra attendre les travaux de l’anthropologue Gonzalo Aguirre Beltran (1908-1996) pour que les afrodescendants mexicains commencent à être, à leur tour, considérés comme partie prenante de la communauté nationale. Depuis une quinzaine d’années, cette question revient en force sur la scène latino-américaine. Plusieurs projets de recherche retracent ainsi, pas à pas, l’histoire et les évolution de ces communautés au Mexique, en Amérique centrale, en Colombie ou encore au Pérou. Pour sa part, l’Organisation des Nations Unies a promulgué la décennie 2015-2014, "Décennie internationale des afrodescendants". En décembre dernier, la commune de Yanga et le Fort de San Juan de Ulúa, à Veracruz, ont été catalogués Sites de Mémoire de l’esclavage par l’INAH et l’UNESCO.


En 2015, selon l’INEGI, 1.2% de la population mexicaine se considère afrodescendant, soient presque 1.381.853 personnes, aujourd’hui principalement installées dans les états de Guerrero (6,5% de la population locale), Oaxaca (4,9%) et Veracruz (3,3%). Presqu'un million et demi de mexicains... tout un monde.


©Masiosarey, 2018




 

* On estime qu'entre les XVI et XIXe siècles, 12 millions d’hommes femmes et enfants originaires d’Afrique auraient été amenés comme esclaves sur le continent américain. Entre 1576 et 1650, plus de 200 000 personnes auraient été envoyées vers la seule Nouvelle Espagne.

** Une première au Mexique très probablement. En Colombie, la communauté libre de San Basilio de Palenque aurait été pactée avec les autorités espagnoles quelques années auparavant, en 1605. Avant ces deux expériences, d’autres communautés se sont auto-proclamées libres et autonomes, mais elles ont toutes été soumises.

*** Cette supposée conspiration –et la postérieure exécution publique de 33 ou 35 africains ou descendants d’africains qui auraient ourdi un soulèvement– est citée par plusieurs sources et récits, mais reste peu vérifiable (et surtout rien ne permet de la lier avec le groupe de cimarrones de Gaspar Yanga). Par ailleurs, on ne trouve, dans les archives, aucune preuve solide d’une telle conspiration. En revanche, les signes de la paranoïa grandissante de la population espagnole et créole face aux secteurs africains sont, eux, évidents. L’influence des confréries africaines, la résistance des groupes cimarrones un peu partout dans le pays, mais aussi l’éclipse et le séisme de 1611, couplés à la mort accidentelle du vice-roi et archevêque, semblent effectivement avoir alimenté une fièvre apocalyptique et la crainte d’un renversement des rapports de pouvoir entre « castes ». Si ces faits ont bien eu lieu, il y a donc de forte chance que cette « conspiration » ait été une rumeur visant à justifier l’élimination des principaux représentants de la communauté africaine et afromexicaine... Pour approfondir cet épisode, vous pouvez lire l’excellent article de Alejandro Palma Castro, La historia (hipertextualidad) de la conjura de los negros de 1612


Pour en savoir plus sur l’histoire des communautés afrodescendantes au Mexique :

Vicente Riva Palacio, Monja, casada, virgen y mártir, México, Porrúa 1945 (1ere édition 1868) / México a través de los siglos, t.2, México. Cumbre 1956 (1ere édition 1882)

Gonzalo Aguirre Beltran, La Poblacion Negra de Mexico, 1519-1810, Mexico: Ediciones Fuente Cultural, 1946 / Cuijla: Esbozo Etnografico de un Pueblo Negro., Veracruz, Mexico: Universidad Veracruzana, 1989

María Elisa Velázquez et Gabriela Iturralde Nieto, Afrodescendientes en México. Una historia de silencio y discriminación, México, CONAPRED, 2012.

Les résultats du projet de recherche franco-mexicain AFRODESC : Afrodescendants et esclavages : domination, identification et héritages dans les Amériques (15ème - 21ème siècles) (URMIS-IRD-CNRS-Université de Nice.-INAH-UNAM)

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