Maroc VS Mexique-USA-Canada : 0-0 (pour le moment...). Semaine du 16 au 22 avril 2018
Chose promise, chose due : cette semaine la revue de presse des médias francophones s’intéresse au foot ! Pas tant aux faits, gestes et buts de Rafa Marquez, André-Pierre Gignac (à Monterrey) ou Mohamed Sissoko (à San Luis Potosí), mais plutôt à l’indéniable dimension géostratégique de ce sport à l’effarant succès mondial.
Petit récapitulatif (à l’usage de ceux qui ne connaissent rien au foot)
Il y a exactement une année, en avril 2017, les Etats-Unis, le Mexique et le Canada annonçaient qu’ils feraient candidature commune pour l’organisation de la Coupe du Monde 2026. Sur fond de tensions politico-économiques croissantes entre les trois pays, cette déclaration est saluée par beaucoup, et notamment par la FIFA, qui voit là un « message positif ». A partir du mois de décembre 2017, il est clair qu’il n’y aura que deux candidatures en lice à l'organisation du Mondial-2026 : la nord-américaine et celle du Maroc. Une situation que la Fifa officialise au mois de mars. Dès lors, résume 20 Minutes (26/03/2018), le match est lancé...
Comme l’explique EuroSport (28/12/2017), la Coupe du Monde 2026 est stratégique à plusieurs titres. Pour les organisateurs d’abord, car ce tournoi sera le premier à rassembler 48 équipes (contre 32 jusque là), pour un total de 80 matchs. Pour la FIFA ensuite, car 8 ans après la double désignation hautement polémique des pays hôtes des Coupes 2018 et 2022 (la Russie et le Qatar respectivement), celle-ci souhaite re-dorer son blason et, si possible, trouver le candidat le plus consensuel possible. D’ailleurs, la décision –qui sera annoncée le 13 juin prochain à Moscou– sera, pour la première fois, prise par des représentants des 211 fédérations membres de la Fifa, et non par un conseil restreint de 22 membres comme c’était l’usage jusqu’ici.
L’Amérique du Nord n’a pas accueilli le « Mondial » depuis 1994
La candidature nord-américaine a sans aucun doute des atouts dans sa manche. Des atouts géographiques tout d’abord. En effet, nous rappelle EuroSport, l’Afrique a accueilli la Coupe du monde en 2010 (en Afrique du Sud) et le monde arabe a hérité de celle de 2022 (au Qatar), alors que l’Amérique du Nord a été « mise à distance » depuis l’édition 1994 aux États-Unis. Il serait donc justifiable que l’édition 2026 traverse à nouveau l’Atlantique.
Des atouts financiers et logistiques également. Comme l’expliquent à leur tour 20 Minutes (26/03/2018), L’Equipe (20/04/2018) et Slate (09/04/2018), le projet qui soutient la candidature nord-américaine est indéniablement plus solide et raisonnable. Les trois voisins ont en effet mobilisé une pré-liste de 23 villes (16 étasuniennes, 4 canadiennes et 3 mexicaines... Mexico, Monterrey et Guadalajara précise Le Matin (11/04/2018)), toutes dotées de stades d'une capacité moyenne de 68.000 places, «déjà construits et opérationnels». Par ailleurs, les droits de diffusion cumulés garantiraient, semble-t-il, la Coupe du monde la plus lucrative de l’histoire. De son côté, le Maroc parie au contraire sur l’investissement. Des 12 ou 14 stades (selon les sources) qui seront mis à disposition pour ce tournoi, cinq ou six seulement existent aujourd’hui, trois autres stades ultramodernes sont en projet, et le reste devra être construit. Le tout pour un budget estimé de seize milliards de dollars, une somme, nous dit L’Equipe, qui serait jugée totalement inacceptable par le Comité international olympique. En cas de victoire, la question du financement (par endettement) serait donc incontournable. Et le quotidien sportif français de citer Pierre Vermeren, professeur d'histoire contemporaine à l'Université Panthéon-Sorbonne, qui voit dans cette candidature une expression de «la diplomatie du coup d’éclat» du roi Mohammed VI.
Le Maroc est un candidat tenace (et soutenu par l’Afrique)
Slate (09/04/2018) propose une bonne synthèse de la situation. Tout d’abord, explique le magazine, il s’agit de la cinquième candidature du royaume chérifien à l'organisation du Mondial. Cette fois-ci, il compte donc bien faire valoir sa cause et devenir ainsi le second pays africain (après l'Afrique du Sud en 2010) à accueillir la Coupe du monde.
Pour cela, le Maroc bénéficie de nombreux appuis. En Afrique évidemment, avec un engagement sans équivoque de la part de la Confédération africaine de football (CAF), réitéré au niveau national par le Cameroun (Cameroon Voice, 23/03/2018), le Sénégal (WiwSport 20/04/2018 et APS Sénégal 19/04/2018) ou encore le Kenya (RFI, 19/04/2018)... Des soutiens qui semblent également venir d’Asie (?) et, enfin, de la part de... Joseph Sepp Blatter ! Comme l'affirme Cameroon Voice (23/03/2018), l'ancien président de la FIFA prend parti (et pourrait bien aussi régler quelques comptes). Mais, nous dit toujours le site camerounais, Blatter a tout de même un argument de poids : la candidature commune présentée par le Japon et la Corée du Sud en 2002 avait justement été rejetée sous prétexte des nombreuses difficultés de coordination qui surgiraient inévitablement d’une organisation bicéphale... dès lors, comment la Fifa peut-elle justifier la validation d’une organisation tri-céphale ?
Comme l’explique pour sa part Le Figaro (13/04/2018), la candidature nord-américaine compte, elle, avec l’appui de la Confédération sud-américaine de football (Conmebol), qui a très officiellement annoncé son soutien unanime. Mais Cameroon Voice nous explique également que cette candidature bénéficierait d'un autre soutien, de taille mais nettement plus problématique à gérer : celui de l’actuel président de la Fifa, Gianni Infantino, qui –précise le site camerounais– devrait son élection en 2016 à un « report de voix de la Confédération de football d'Amérique du Nord, d'Amérique centrale et des Caraïbes (CONCACAF), à charge de revanche ». Ca se corse!
Comme un soupçon de favoristisme ?
Face à une Fifa relativement discréditée, et comme le soulignent RFI (07/04/2018), Foot01 (02/04/2018), Afrik-Foot (02/04/2018), 20 Minutes (26/03/2018) et Slate (09/03/2018), le Maroc et ses partisans n’hésitent donc pas –à tord ou à raison– à contester le processus de sélection. Et, selon eux, le problème est double. D’une part, les critères d'évaluation auraient été modifiés «à moins de 24 heures du dépôt du dossier marocain », soit « 48 heures avant la date limite imposée par la FIFA». Et les nouveaux critères sont lourds de conséquences et de contraintes : les villes hôtes doivent compter au moins 250.000 habitants, les pays doivent faire valoir une capacité aéroportuaire minimale de 60 millions de passagers par an, les aéroports doivent être situés à une distance maximale de 90 minutes de la ville hôte, etc... D’autre part, la « Task Force » d’évaluation mise en place par la Fifa pose problème. Cette commission de cinq personnes chargée d’examiner les deux candidatures préalablement au vote du 13 juin, serait également autorisée à écarter «automatiquement» et sans possibilité de recours une candidature si elle l'estime insuffisante. Une attribution inacceptable selon ses détracteurs : « On n’a jamais vu une instance pareille ! […] Même le président [de la FIFA, Ndlr] Gianni Infantino n’a pas ce pouvoir de décider sans appel. C’est ça que nous contestons vigoureusement ».
L’autre argument de poids, dont s’emparent les partisans du Maroc, est –sans grande surprise– celui de la sécurité. Alors que la « Task Force » arrive au Mexique, le 9 avril, Le Site (06/04/2018) et RFI (09/04/2018) relaient justement la publication par l’agence de conseil britannique Ergon d’un rapport pour le moins sévère sur les conditions de sécurité des participants aux 10 matchs de Coupe du monde qui devraient avoir lieu au Mexique en 2026 en cas de victoire nord-américaine. Toutefois, ce n’est pas tant le danger que représente la guerre contre les narcotrafiquants qui est pointé du doigt –car, précise RFI, le rapport « admet que les affrontements sont plus fréquents en dehors des trois villes où se joueront des matchs »– mais le harcèlement des femmes dans la capitale et la violence dont sont victimes les journalistes dans le pays. Des facteurs qui, selon Ergon, pourraient avoir un réel impact sur l’intégrité physique des participants de ce Mondial, qu’il s’agisse des joueurs ou des spectateurs.
Si le respect des droits de l'homme ou de la démocratie des pays candidats étaient un critère de sélection, cela se saurait depuis longtemps... Par contre, et comme le conclut Slate (09/04/2018), certains pourraient bien être tentés « d’infliger une sorte de camouflet diplomatique aux Américains, en juin prochain –à commencer par les Russes et leurs alliés (avec ce raffinement suprême que constitue un vote organisé à Moscou) »... Et quelques-uns pourraient peut-être, aussi, avoir envie de se «payer» Gianni Infantino...
Alors, les dés de la Coupe du Monde 2016 sont-ils déjà jetés?.