"Qui prend un instrument de musique en main, difficilement prendra une arme". Ou comment l
Un tuba dans le cockpit de l’A380 qui atterrit à Mexico ; un violon comme bagage à main ; un trombone en guise de plateau repas… Mais qu’arrive-t-il donc aux personnels de vol de la ligne Paris-Mexico d’Air France ? Une histoire pas tout à fait comme les autres, mais qui fait chaud au cœur. Une initiative qui vous laisse « tout chose ». Mais les sentiments, c’est encore mieux s’ils sont portés par des têtes bien faites. Et c’est exactement l’impression que donnent les fondateurs, les promoteurs et les membres de La Banda de Música de Oaxaca.
Quelques membres de La Banda de Música ont fait le déplacement à l’Alliance Française de Polanco Mexico, ce jeudi 22 mars 2018, pour promouvoir leurs prochains concerts : le 19 avril 2018 à Mexico, au Centre national de arts (CENART), et le 21 avril à Oaxaca, en compagnie ni plus ni moins que de la Chorale d’Air France. L’occasion de revenir sur une histoire qui ne démériterait pas de se convertir en scénario de film ; une version mexicaine du film Music of the heart (1999) qui raconte comment Roberta Guaspari monta un orchestre dans le quartier de Harlem dans les années 80. Mais, ici, oubliez le soutien de l’école, de la ville ou de l’état. La Banda de Música est une initiative qui vient des parents et de la paroisse. Une paroisse qui coïncide avec l’emplacement de la décharge municipale de Zaachila, dans le quartier de Vicente Guerrero, à une petite vingtaine de kilomètres de la ville de Oaxaca. Cette décharge, ouverte en 1981 et qui reçoit chaque jour 900 nouvelles tonnes d’ordures
« Faire partie d’une Bande, pas d’une bande »
Le père de la paroisse San Bartoleo, José Rentería, se souvient qu’en 2009 les jeunes du quartier exprimaient leur inquiétude face à la violence, la prostitution, l’exclusion et l’absence de portes de sortie. Ils cherchaient à se rapprocher de la Paroisse, sans toutefois beaucoup aimer la messe : « Nous n’avons pas tant d’options face à la violence » lui confiaient-ils. José Rentería comprend alors qu’il est urgent de renforcer le tissu communautaire, qu’il faut constituer une équipe locale forte, autour d’une initiative qui s’enracine. En 2011, la paroisse lance donc une école de musique, hébergée dans un hangar et rassemblant 22 jeunes apprentis musiciens. Et les résultats ne tardent pas. Les jeunes membres de l’orchestre ont de meilleures notes à l’école, leur comportement au sein de la famille change. « Les enfants sourient et s’éloignent des peines qu’ils vivent chez eux » explique une mère de famille. Les parents commencent à leur tour à s’impliquer. « Faire partie d’une « Bande » (formation musicale) de musique et non pas d’une bande (délinquante) est très significatif. La réponse collaborative fut fabuleuse » insiste le père José Rentería. Avec les donations des parents, l’école de musique prend forme.
Et, en 2012, la Banda de Música donne son premier concert. Le père José Rentería se remémore avec émotion le moment où un père de famille, à la fin de ce premier concert, vient lui dire « Les jeunes ont très bien joué, surtout en si peu de temps. Les gens de la ville devront nous voir d’une autre manière désormais. Parce qu’ils disent que nous sommes des drogués, des cholos, des criminels et que nous vivons dans la poubelle. Maintenant, ils vont savoir que nous sommes humains et dignes de créer de belles choses ». « C’était l’expression, très belle, d’une auto-estime collective » conclut le père. Aujourd’hui, plus de 100 jeunes musiciens fréquentent l’école de musique, qui compte dorénavant une formation (ou un ensemble) juvénile, un orchestre symphonique, un orchestre de musique de chambre et un atelier de réparation des instruments, placé sous la responsabilité des jeunes.
Une réponse collective à la marginalisation
Les parents, de leur côté, ont organisé des comités afin d’assurer le fonctionnement et l’autonomie de l’école. « Le but qui nous rassemble aujourd’hui, c’est que tous les enfants du quartier Vicente Guerrero et des quartiers alentours aient l’opportunité de se développer artistiquement. Dans la zone où nous habitons, c’est très difficile. » explique une mère de famille, membre du comité d’organisation.
L’impact de l’école sur la collectivité est important. « Des effets que nous n’aurions jamais imaginés... On pourrait les appeler les « impacts humanitaires » poursuit le Père Renteria. « Comme paroisse, nous avons la responsabilité de la pastorale des sourds et des handicapés. Lors du second concert, nous avons donc invité les sourds à chanter en langage des signes pendant que les enfants jouaient de la musique. Nous nous sentions tous très contents d’être là, d’être ici ensemble et pour tous. Ce thème de l’inclusion du handicap, nous sommes en train de le découvrir » précise-t-il. Et il renchérit en racontant l’activité de La Banda auprès des malades. Une des membres de l’école est tombée malade. Son seul désir, à l’hôpital, était d’écouter jouer ces compagnons. Après de nombreuses démarches, l’hôpital autorise l’ensemble à venir jouer. « La musique l’a fait pleurer et pleurer, évacuer ce qu’elle n’avait pas pu évacuer. Au final, le directeur d’oncologie est arrivé et a dit : qui êtes-vous ? La musique a fait du bien á tous mes enfants d’oncologie. Je veux que vous veniez plus souvent. » raconte le pére Rentería, avant de conclure : « Les jeunes deviennent protagonistes, ils se sentent valorisés, ils font quelque chose. Plusieurs ont abandonné la drogue ».
Dans une zone d’urbanisation assez récente, où convergent des gens originaires de différents points de l’Etat de Oaxaca, fabriquer du lien social est un immense défi. « La musique relève ce défi », insiste le Père Rentería. Plus encore, poursuit-il, « les sociologues signalent que dans les communautés où le lien social est fort, il est plus difficile que la violence pénètre. (…) La violence est souvent générée par l’exclusion. Nous croyons en l’inclusion des jeunes, des handicapés (…) ». « L’exclusion sociale nous coûte à tous, comme société. Elle se convertit en violence, en corruption, elle nous affecte à tous. Si nous le voyons en termes d’argent, la musique rapporte des gains. Combattre l’exclusion à travers la musique amène des avantages économiques. » ajoute le chef de l’orchestre symphonique.
Et la musique alors ? Camerino, chargé de l'école de musique, s’étonne : « Je n’aurais jamais pensé, lorsque je suis arrivé en 2011, que nous arriverions à cela, un orchestre symphonique ». « La musique implique la recherche d’un certain niveau de qualité. J’ai trouvé à l’école une expérience humaine forte, mais aussi un travail collectif » ajoute un nouvel intégrant de l’équipe, qui dirige maintenant l’Orchestre symphonique de l’école. Car jouer d’un instrument est un apprentissage long et souvent ingrat. Aucun des membres de l’orchestre n’avaient de connaissance musicale avant d’entrer à l’école. Après environ six mois de solfège, ils ont commencé à jouer d’un instrument, 4 à 5 heures de musique par semaine. Les élèves musiciens en visite à Mexico pour le concert jouent depuis 5 ans environ.
Des expériences individuelles transcendantes
Les témoignages individuels ajoutent encore du souffle à l’histoire. Des expériences de vie à Oaxaca, bien entendu, mais aussi de l’autre côté de l’Atlantique en France. Comme celle de ce petit garçon français qui avant de donner son instrument de musique à Isabelle De Boves, la contrepartie française de ce projet, en joue une dernière fois en pleurant : « je joue pour l’humanité » dit-il. « Quand les instruments arrivent ici, les enfants les reçoivent avec beaucoup d’émotion parce qu’ils savent qu’ils viennent d’autres enfants qui, à leur façon, ont collaboré. Ce sont des relations très concrètes. Et les histoires commencent á se tisser » rapporte ému le Père Rentería.
Et les récits de succès viennent auréoler le travail de l’école de musique. D’anciens élèves sont partis ailleurs poursuivre des études ou travailler. Deux élèves sont allés en France et en Belgique pour effectuer des stages dans des ateliers de réparation d’instruments. Cinq autres élèves ont reçu des bourses pour poursuivre leurs études au conservatoire de Oaxaca ou à l’institut de Bellas Artes. L’un d’entre eux est devenu second Hautbois de l’Orchestre symphonique des Beaux Arts de Oaxaca. Un des jeunes va aussi voyager au Japon pour jouer dans un orchestre à l’occasion de l’anniversaire de la catastrophe de Fukushima : « Je n’avais jamais imaginé sortir du pays, de Oaxaca » s’exclame-t-il !
Et Air France, dans tout cela ?
Voilà un bel exemple des hasards des rencontres humaines. En 2011, Isabelle De Boves, pilote chez Air France, venue rendre visite à une tante religieuse dans le quartier, est impressionnée par la volonté des jeunes de la Banda de Música et par le projet dans son ensemble. « Je veux me joindre à cet effort » dit-elle au Père Rentería. De retour en France, elle organise donc une collecte d’instruments de musique usagés, que –durant toutes ces années– le personnel de navigation d’Air France aidera à faire parvenir au Mexique. Les photographies d’Andrea Montovani, exposées à l’Alliance française de Polanco, retracent avec beaucoup de charme et d’humour le passage de ces instruments, des mains du personnel d’Air France à celles des futurs musiciens de Oaxaca.
Helvia González, responsable de la communication et des relations publiques d’Air France au Mexique, est elle aussi emballée: « Au nom de tous les personnels d’Air France au Mexique, je dois dire que c’est une grande fierté que nos collègues de Paris viennent au Mexique comme volontaires ». Et, au sein d’Air France, comment est perçue l’initiative ? Helvia précise que sans l’effort d’Isabelle De Boves, la Fondation n’aurait jamais connu ce projet. Quant à Isabelle, elle s’est fait connaître au sein de l’entreprise grâce à son implication. A Mexico, précise encore Helvia González, la gérante d’opération des activités d’Air France a, elle aussi, joué un rôle crucial, notamment en matière de logistique pour acheminer les instruments vers Oaxaca. « Dans la revue interne d’Air France, L’Accent, notre gérante a d’ailleurs fait la Une accompagnée d’une contrebasse ! ».
En bref, cette initiative a largement séduit les salariés de l’entreprise française. Et, en ce mois d’avril, ce sont 80 choristes du Chœur d’Air France qui viennent de France pour accompagner la Banda de Música. Le but de ces concerts est de lever des fonds afin d’entreprendre la seconde étape de la construction de l’école de musique du quartier. Une école dont la construction a pu être lancée grâce à la participation des parents, mais aussi grâce au soutien de la Fondation Air France. Helvia González utilise une métaphore ad hoc pour décrire le but des concerts : « Donner des ailes à ce merveilleux projet ».
« Voir le talent qui naît de Vicente Guerrero »
Finalement, les propos d’une des mères du comité d’organisation de l’Ecole de musique nous permettent de comprendre mieux encore l’enthousiasme des partenaires français :
« Je suis émue de voir tout le travail qu’Air France fait pour nous soutenir. Grâce à cela, ce n’est pas seulement la zone orientale de la Villa de Zaachila qui est rendue digne, sinon la vie de chacun des élèves » explique-t-elle. Car « en rendant digne leur vie, nous rendons digne une famille complète. Pourquoi ? Parce qu’avec les années, ils auront une famille et ils auront les outils suffisants pour aller de l’avant (...) L’Ecole de musique a été une source d’inspiration pour beaucoup de personnes, pour proposer de nouveaux projets ou pour participer. Et cela, pour nous, est très gratifiant. C’est incroyable de voir les gens du « centre » (de la ville de Oaxaca) faire la queue pour voir le talent qui naît de Vicente Guerrero. (…) C’est une grande fierté de savoir que maintenant, Vicente Guerrero, une zone de grande marginalité, commence à renaître grâce au talent des enfants, grâce aux liens qui existent dans la communauté et grâce à la solidarité manifestée dans la zone mais aussi au niveau national et international. Merci. »
Une déclaration qui nous touche et un constat difficilement discutable. Mais aussi une interrogation en filigrane : qu’attendent donc les autorités publiques pour attraper l’avion de la prévention contre la violence et pour accorder leurs violons afin d’avancer vers une société plus inclusive ?
©Masiosarey, 2018
Un documentaire réalisé en français par la Fondation Air France est disponible sur Facebook.
Et pour ceux qui voudraient faire un don, c'est possible et bienvenu sur le site La Banda de Musica