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Un 1er avril à la frontière. Semaine du 2 au 8 avril 2018


Pixabay. https://pixabay.com/en/fish-piranha-scary-logo-predator-32558/
Un 1er avril dans le plus pur style « trumpien », à une différence près : il ne s’agissait pas d’un poisson d’avril.
Tout commence le 25 mars, avec le départ d’une marche de migrants centraméricains de Tapachula ; une caravane humaine qui doit traverser le territoire mexicain jusqu’à Tijuana. Comme l’explique Le Télégramme (01/04/2018), en faisant voyager les migrants en groupe et au vu de tous, les organisateurs (l’ONG "Pueblos sin fronteras") espèrent les protéger des autorités, des gangs et des cartels dont ils sont régulièrement victimes quand ils sont isolés. Ce n’est pas la première opération de ce genre. Depuis 2010, précise Le Figaro (05/04/2018), l’ONG organise tous les ans autour des fêtes de Pâques ce qu’elle appelle « le Chemin de croix du migrant ». Mais cette année l’opération mobilise au delà des espérances et... du souhaitable. 1.500 personnes –honduriens (80% d’entre elles), guatémaltèques et salvadoriens–, dont 450 enfants nous dit Le Vif (01/04/2018), sont cette fois au départ : du jamais vu. Une partie de la presse étasunienne (entendez notamment FoxNews) s’empare du sujet, le magnifie et, comme le relaient Le Télégramme et la RTBF (01/04/2018), Donald Trump entre à son tour en scène, le 1er avril justement (et via twiter évidemment).

"Des caravanes arrivent"

"Le Mexique en fait très peu, si ce n'est RIEN, pour empêcher les gens d'entrer au Mexique par sa frontière Sud, puis aux Etats-Unis [...] Les républicains doivent faire approuver des lois sévères MAINTENANT". Le Mexique "doit arrêter le flot de drogues et de gens, ou j'arrête leur vache à lait, l'ALENA"... voila en l’essence le message envoyé par le président des Etats-Unis en ce 1er dimanche d’avril.

Côté mexicain, Challenges (02/04/2018) note que le premier à réagir à cette nouvelle provocation est le candidat à la présidence Andres Manuel Lopez Obrador, qui se trouvait justement, ce même dimanche, en campagne à Ciudad Juarez. "Le Mexique et son peuple ne seront la piñata d'aucun gouvernement étranger" prévient le candidat. Déclaration qui amène d'ailleurs le Journal du Dimanche (03/04/2018) à se demander si Lopez Obrador ne pourrait pas devenir « un futur cauchemar pour Donald Trump »...

Le son de cloche est le même de la part des autorités mexicaines. TV5 Monde (06/04/2018) rapporte ainsi la réaction de l’actuel président de la République, Enrique Peña Nieto, pourtant partisan de la modération vis-à-vis de son homologue étasunien, qui a lui aussi finalement pris la parole quelques jours plus tard : « Si vos récentes déclarations puisent leurs origines dans une frustration liée aux affaires de politique intérieure, de vos lois ou de votre Congrès, adressez vous à eux et pas aux Mexicains ». Dans la foulée, TV5 Monde relaie également la déclaration de Ramone Galindo, le gouverneur de Ciudad Juarez (sic) –en fait, ce dernier est candidat à la municipalité de Ciudad Juaréz–-, encore plus explicite : « Le congrès américain ne veut pas approuver le budget pour construire le fameux mur qu'il a promis pendant sa campagne. Alors il a trouvé une autre solution en prétendant établir un mur de militaires".

De fait, et comme le souligne la RTBF, cette histoire de caravane centraméricaine tombe effectivement à pic pour Donald Trump, alors que le Congrès a omis d’inscrire dans le budget adopté le mois dernier le financement nécessaire à la construction du mur frontalier. Son objectif désormais, nous explique le média belge, est de convaincre le ministère de la Défense, qui vient d'obtenir une enveloppe record, de débloquer les fonds nécessaires. Et, pour séduire l’armée, Trump est prêt à tout, même à envoyer des troupes à la frontière... ce qui constitue d’ailleurs, selon lui, "un grand pas"... vers quoi? L'histoire le dira.

Comme le restituent L’Obs (03/04/2018) puis Le Monde (04/04/2018), l’annonce para-officielle de cette mobilisation est faite mardi 3 avril, à l’occasion d'une rencontre entre le président américain et des dirigeants des pays baltes, et prenant de court un peu tout le monde. Après quelques réajustements, il est donc précisé que ce sera finalement la Garde Nationale, le corps de réserve de l’armée étasunienne, qui sera mobilisée. Mais, souligne Le Monde, ce corps militaire n’est pas habilité à procéder aux arrestations d’immigrants illégaux ; une mission qui relève exclusivement de la compétence de la police des frontières. Alors, intimidation?

Le lendemain, Le Point, le Figaro (05/04/2018) et le HuffingtonPost (06/04/2018) annoncent que ce seront entre 2.000 et 4.000 hommes de la Garde Nationale qui devraient être envoyés à la frontière. Et Le Point d’ajouter que Donald Trump aurait l’intention de maintenir ces effectifs –tous, « ou au moins une grande partie » d’entre eux– sur place jusqu'à ce que le mur soit construit... Ce qui, remarque l’hebdomadaire, laisse présager un déploiement de longue durée, car le budget nécessaire à la construction n’a toujours pas été approuvé.

Faire sens (tant que faire ce peu...)

Radio Canada (06/04/2018), chiffres et cartes à l’appui, va un peu plus loin et donne la parole à des spécialistes de la question. David Bier, analyste politique de l'Institut Cato, basé à Washington, rappelle ainsi –pour ceux qui l’aurait oublié– que « c'est une pratique courante pour un président d'utiliser la Garde nationale comme outil théâtral pour démontrer sa fermeté ». Et puisque la loi « interdit à ces militaires de procéder à des arrestations », ils seront essentiellement « inutiles », réitère-t-il. De son côté, Catherine Tactaquin, en représentation du National Network for Immigrant and Refugee Rights (NNIRR), pointe une contradiction de taille : depuis une dizaine d’années moins en moins de migrants entrent aux Etats-Unis. Pourtant, malgré cette diminution, la frontière américano-mexicaine a dans le même temps été progressivement militarisée. En bref, conclut-elle « La frontière est devenue une zone de guerre imaginaire, où sont combattus la drogue, le crime et les étrangers »... Du théâtre en politique ?

Cette même semaine, comme le relaie le Journal du Dimanche (04/2018), le candidat Andres Manuel Lopez Obrador, cette fois-ci depuis l'état du Tamaulipas, relève une autre contradiction : "cette grande menace à la frontière que brandit le président Trump n'existe pas", dit-il. "Je peux le prouver. Ici à Laredo il y a moins de violence que dans certaines villes des Etats Unis. Il y a plus de crimes à Washington qu'ici à Laredo." Et l'actualité semble en effet lui donner raison, alors même qu'une fusillade dans le siège du groupe YouTube près de San Francisco pose à nouveau le problème du libre port d'arme aux Etats-Unis (Libération, 04/04/2018) et que le site d'information Express (08/04/2018) citant le coordinateur du projet "Stop US Arms to Mexico", John Lindsay-Poland, rappelle (fort à propos) qu'au cours de l'année écoulée, un nombre record de personnes ont été tuées avec des armes à feu au Mexique et que la majorité de ces armes proviennent des... Etats-Unis,

Dans son éditorial du 6 avril, Les Echos tente aussi la prise de distance. Cette mobilisation de troupe est-elle seulement un « projet irrationnel » et inutilement coûteux, comme le suggère le New York Times, ou s’agit-il (aussi) d’un geste tactique de Donald Trump envers ses électeurs à l'approche des élections de mi-mandat ? Théâtre toujours... Théâtre mais, également, recours systématique à la menace, comme le souligne L’Avenir (06/04/2018), en notant que cette même semaine Trump, faisant feu de tous bois, a également menacé la Chine de représailles douanières.

Quant au magazine marocain Le360 (05/04/201), celui-ci se demande comment, dans ces conditions, les deux pays, colistiers avec le Canada dans la course à l’organisation du Mondial 2026, vont-ils bien pouvoir s’entendre pour faire cause commune devant la FIFA. Et, accessoirement, comment les supporters d’Amérique centrale et du Sud –une zone qui, rappelle le magazine, fournit le 2e grand contingent des qualifiés au Mondial après l’Europe– pourront se rendre librement aux USA pour suivre leur équipe nationale ? Malheureusement, déplore encore le média marocain, plutôt que de répondre à ces questions cruciales, la FIFA se démène pour poser des obstacles à la candidature marocaine pour ce même Mondial 2026... Définitivement, le monde n'est pas juste.

Et, vous demanderez-vous peut-être, qu’en est-il de la caravane de migrants centraméricains dans tout ce vacarme ? Et bien celle-ci a renoncé à poursuivre son Chemin de croix pascal et, comme l'expliquent Le Vif et Europe 1 (04/04/2018) elle s'est arrêtée dans la capitale mexicaine. De là, beaucoup des migrants honduriens, salvadoriens et guatémaltèques continueront leur périple, seuls, infiniment plus vulnérables, mais plus discrètement aussi.

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