Se nourrir durablement? Une préoccupation au cœur de la coopération agroalimentaire franco-mexicaine
Adieu, veau, vache, cochon, couvée... Bonjour innovation ! C’est, en l’essence, ce dont il a été question lors de la matinée de travail et d’échanges entre acteurs français et mexicains du secteur agricole, le mardi 20 mars 2018 à México. Organisations professionnelles, fonctionnaires, producteurs, certificateurs et chercheurs se sont relayés pour dresser un état des lieux du secteur agroalimentaire dans les deux pays.
Qui eut crû en 1994, au moment de l’entrée en vigueur du TLCAN, que le secteur agroalimentaire serait en 2016 le premier pourvoyeur de devises étrangères au Mexique, devant les envois de fonds et le pétrole ? (voir Masiosarey). Et, à l’heure des renégociations de ce TLC, la France a bien compris qu’une fenêtre d’opportunité s’ouvrait avec le Mexique. Car « la production agricole intégrée » mexicaine -une production qui s’adapte à grand pas à la demande et à la réglementation internationale– offre de nouvelles perspectives d’accords et d’innovations.
Collaboration technique et ouverture commerciale : les deux faces d’une même monnaie
Ce séminaire –une initiative conjointe des ministères de l’agriculture des deux pays (SAGARPA et MAA)– tombe donc à point nommé pour prendre la mesure des évolutions de certaines filières et identifier les convergences. Les discours d’ouverture des représentants de ces ministères (le coordinateur de la filière élevage du SAGARPA, Francisco Gurría et le chef du service Europe et international du Ministère de l’agriculture, Frédéric Lambert) sont d’ailleurs au diapason : la coopération entre les deux pays et l’ouverture commerciale contribuent à la croissance économique. L’Ambassadrice de France, Anne Grillo, explique, pour sa part, que les deux pays avancent dans la même direction, à savoir relever les défis de la sécurité alimentaire et de la lutte contre le changement climatique. Elle rappelle aussi que cette relation bilatérale est une relation équilibrée : le Mexique a exporté pour 170 millions d’euros en France et a importé 125 millions d’euros de produits français.
Un léger avantage pour le Mexique, que les producteurs et représentants des filières professionnels français de passage à Mexico comptent bien renverser !
Faire connaître l’organisation du secteur agroalimentaire français
Les interventions de cette matinée s’enchaînent, alternant les voix françaises et mexicaines. Du côté français, Bruno Dupont et Guillaume Roué, respectivement présidents de l’Interprofessionnelle Fruits et Légumes Frais (INTERFEL) et de l’Interprofessionnelle nationale porcine (INAPORC), permettent de mieux saisir l’organisation et le poids de ces deux filières. L’enjeu, pour tous les pays aujourd’hui, explique Bruno Dupont, est d’atteindre l’indépendance alimentaire tout en sécurisant le consommateur. Guillaume Roué, en bon représentant de sa filière, rappelle à ceux qui l’auraient un peu oublié que tout est bon dans le cochon. Car ce n’est pas l’animal qui est commercialisé, mais les plus de deux cents pièces qui le composent. Et il y a un marché pour chacune de ces pièces, en France ou à l’étranger. Guillaume Roué rappelle également que dans une économie mondiale ouverte, il faut évidemment être compétitif. Mais il faut aussi avoir conscience que « tous les pays veulent exporter et que, quand on veut exporter, il faut aussi admettre que l’on puisse importer ». Très clairement, ajoute-t-il, « le marché mexicain nous intéresse car il est très complémentaire. ». A bon entendeur…
Le message de ces deux professionnels est sans appel : la traçabilité des aliments est, aujourd’hui, un paramètre essentiel, et ce pour tous les pays. Car, au final c’est le consommateur qui décide de ce qu’il met dans son assiette, et que celui-ci veut pouvoir décider en connaissance de cause. La protection du consommateur, un axe important, qui sera de fait décliné tout au long de cette matinée ; notamment par Adeline Doret, chargée du « Label rouge pour les viandes » à l’Institut national de l’origine et de la qualité (INAO). Celle-ci décrit les processus de dénominations, les bénéfices de l’indication géographique pour le consommateur et pour le producteur (car un label est aussi un instrument pour redynamiser les territoires et maintenir la diversité et l’identité des productions) et, finalement, les enjeux de l’appellation en France. En effet, souligne-t-elle, a l’origine de l’appellation ou d’une labellisation, il y a –aussi– la crainte de la copie. Et l’on en comprend l’importance, à l’heure où les négociations des traités commerciaux buttent toujours sur le respect de ces appellations.
Enfin, et après une présentation vidéo du célèbre Salon international de l’Agriculture français, Florence Verrier, conseillère agricole à l’Ambassade de France, présente un exemple de politique publique réussie en matière de lutte contre les résistances antibiotiques : le « Plan eco-antibio ». Face à un problème de taille (trop utilisés, les antibiotiques ne permettent plus de lutter aussi efficacement contre les bactéries), le gouvernement français a pris les devants, dans un premier temps avec une campagne nationale pour réduire l’utilisation des antibiotiques en santé humaine, puis avec le Plan eco-antibio à destination cette fois des animaux. Et, en l’espace de 5 ans, l’objectif initial de baisser de 25% l’utilisation des antibiotiques vétérinaires a été largement dépassé (pour atteindre -37% !).
Les enjeux de l’intégration du secteur agroalimentaire mexicain
Et du côté mexicain, qu’a-t-on appris ?
Tout d’abord, que des entreprises françaises sont depuis longtemps implantées au Mexique, comme le montre l’exemple de NEOVIA (10 usines et 1.700 employés au Mexique) ; une entreprise installée dans le pays depuis soixante ans et qui, depuis 2008, occupe une position prépondérante sur le marché de l’alimentation et de la santé animale.
Que le Mexique n’est pas autosuffisant en matière de consommation de viande. Et ce malgré une longue tradition d’élevage. En effet, le Mexique importe 40% de la consommation nationale de porc, du bœuf, de l’agneau (30%). Et comme nous ne sommes pas à un paradoxe près, nous avons également appris que le Mexique est le 5ème exportateur mondial de viande de porc ! Une production essentiellement vendue au Japon (80% des exportations). Dans ce secteur précis, le Mexique occupe la 14ème position mondiale en termes de production. 350.000 personnes vivent directement de l’élevage porcin. Et la consommation nationale est même en augmentation (3,9%) : les mexicains consomment 18 kg de porc en moyenne par an en 2017, ce qui les situent toutefois loin derrière les français qui eux consomment encore environ 34 kg par an!
Que le Mexique est le 4ème producteur mondial d’alimentation animale. Le directeur général de la CONAFAB (le conseil national des fabricants d’aliments équilibrés et de la nutrition animale), Genaro Bernal Cruz, explique que le Mexique est totalement autosuffisant en aliments équilibrés (des farines pour nourrir les crevettes d’élevage, aux aliments des animaux de compagnie). Un secteur qui emploie moins que celui du porc, mais qui reste cependant un grand pourvoyeur d’emplois directs : 250.000 personnes.
Que le Mexique est le 10ème exportateur mondial de viande de bœuf. En 2007, le Mexique exportait 32.000 tonnes de viande ; dix ans plus tard ce ne sont pas moins de 212.000 tonnes. Et pour diversifier les marchés extérieurs, explique Rogelio Perez, Directeur général de Mexican beef, le Mexique développe aujourd’hui les produits halals, pour conquérir les marchés de la péninsule arabique : il vend déjà au Quatar et, en 2018, entrera sur le marché de l’Arabie Saoudite.
Que l’agriculture mexicaine a bien deux visages: celui d’une production intégrée – entendez, une production qui s’est adaptée aux règles et normes internationales pour pénétrer les marchés extérieurs – ; et celui d’une production d’autosuffisance où les petits producteurs peinent à survivre (voir Masiosarey). La production porcine au Mexique ne fait pas exception à la règle, explique le président de l’Organisation des producteurs de porc du pays (OPORPA). Ce secteur comprend de grands producteurs nationaux avec des exploitations de 10.000 à 70.000 « ventres », mais aussi des petits et moyens producteurs dont le cheptel oscille entre 10 et 5.000 bêtes.
Que l’intégration agricole peut avoir un effet d’entraînement sur le reste de l’agriculture mexicaine. Comme l’appelle de ses voeux le président de l’OPORPA, il faut arriver à intégrer la filière porcine et faire le lien entre les petits producteurs et les plus grands. Et cet effort passe par la formation. Depuis quelques années, des projets pilotes sont ainsi menés par les autorités publiques, mais aussi par certaines entreprises, à l’image de « Orgullo Pecuario » (impulsé par NEOVIA), pour participer à la formation de petits producteurs.
Que la certification est au cœur de l’intégration du secteur agricole. Pour exporter, il faut garantir la qualité. Et, comme l’explique le Directeur général de Mexican Beef, les organisations professionnelles travaillent avec les autorités pour surveiller les cheptels et intervenir en cas de maladies. La certification peut être publique ou privée. L’Institut de Certification de l’entreprise NEOVIA compte ainsi, dans un avenir proche, certifier les petits producteurs impliqués dans le cadre du projet « Orgullo Pecuario » auquel elle participe. Mais la certification a aussi une utilité pour le grand public : informer le consommateur sur ce qu’il mange, et l’on rejoint alors largement les préoccupations de traçabilité et d’information du consommateur dont parlaient les membres de la délégation française.
Au Mexique, il existe un label de qualité des produits agricoles, « Mexico Calidad Suprema ». Au départ, celui-ci garantissait l’innocuité des produits, tout en affichant leurs caractéristiques spécifiques. Mais, peu à peu, il s’est ajusté aux exigences internationales. Aujourd’hui, il amène donc les producteurs à remplir les conditions imposées par les certifications internationales. La certification favorise sans aucun doute l’exportation, mais au final elle change aussi la donne sur les marchés nationaux et régionaux.
Qu’il n’y a que 16 dénominations d’origine au Mexique. C’est l’IMPI, l’Institut Mexicain de la Propriété Intellectuelle qui concentre les fonctions de l’INAO français et Alfredo Rendón, son directeur général adjoint, explique les arcanes de la « dénomination d’origine ». Et, en écho à ce qui a été rapporté par la représentante de l’INAO, le scoop tombe : une semaine encore avant la tenue de ce séminaire, la réglementation de la dénomination d’origine mexicaine ne prenait pas en compte l’indication géographique. Toutefois, depuis le 13 mars 2018, cette lacune est comblée. Ce, en grande partie pour pouvoir, dans les négociations internationales, faire valoir les dénominations mexicaines qui, sans indications géographiques, ne bénéficiaient pas de la même protection. Pour ceux que cela inquièterait, sachez qu’il n’y a pas eu, en revanche, de plaintes formelles des producteurs français concernant l’appellation Roquefort.
Qu’il existe un Registre Unique des unités d’élevage et que la France a participé à la conception de ce système d’information. Arnault Villaret, qui connaît très bien le Mexique, rappelle qu’entre 2003 et 2009, les missions françaises se sont succédées. Car en préambule de toute action concrète (de l’attribution de subventions à l’amélioration génétique), il faut d’abord … compter ! L’identification animal est essentielle puis il faut pouvoir croiser l’information. Un effort qui a abouti à créer le registre unique, dans une alliance particulièrement fructueuse entre le secteur public et le secteur privé.
Que l’arrivée de Donald Trump à la présidence des Etats-Unis a eu des effets inattendus. Le programme « Orgullo Pecuario » est né de l’inquiétude provoquée par la politique migratoire de la nouvelle administration étasunienne. Face à la menace des expulsions, le gouvernement mexicain s’attendait au retour anticipé des travailleurs mexicains de l’agriculture et avait donc prévu un programme d’appui aux rapatriés. Ainsi ce programme s’adresse en priorité à eux, mais pas exclusivement, « les autorités ont aussi saisi l’opportunité d’appuyer les petits producteurs » (Jorge González).
En bref, un séminaire utile à tout consommateur (français ou mexicain) qui voudrait être informé de ce qui atterrit dans son assiette. Une rencontre qui aura également permis de confronter les visions en matière d’agriculture de deux pays, a priori très différents et qui pourtant, dans l’économie mondiale ouverte, doivent suivre des stratégies très proches : adapter leur agriculture aux désidératas internationaux, tout en conservant la spécificité de leur production.
©Masiosarey, 2018