Le secteur agroalimentaire mexicain a-t-il bénéficié du TLCAN?
Pour la deuxième année consécutive, le secteur agroalimentaire mexicain affiche des résultats très honorables et une balance commerciale positive. De fait, depuis 2015, ce secteur a rapporté plus de devises étrangères que les envois de fonds (remesas), le pétrole ou encore le tourisme. Et, aujourd'hui, le Mexique est le douzième pays producteur d'aliments au monde (et le troisième d'Amérique Latine).
En 2016, 49,4% des revenus des exportations agroalimentaires provenaient de l'agro-industrie. La bière (et oui) est le premier produit exporté par le Mexique. L'avocat, le sucre et les tomates sont les autres produits phares de l'agroalimentaire mexicain... à leur tour talonnés par les baies rouges, une production de plus en plus prisée à l'international et dont l'augmentation est à deux chiffres depuis 2013 (BBVA).
La baisse progressive des tarifs douaniers sur les produits agricoles, appliqués dans le cadre du TLC, a évidemment joué un rôle dans le développement du secteur, et ce même si la balance commerciale n'est positive que depuis deux ans. Pourtant, et comme l'observaient déjà les spécialistes dès le début des années 2000, tous les produits ne sont pas logé à la même enseigne. Si certains ont clairement bénéficié de la libéralisation des échanges, d'autres ont été plombés, et le traité n'a pas comblé la brèche entre les productions dites "intégrées" (qui ont une vocation à l'exportation) et les productions d'auto-suffisance (Mella et Mercado, 2006) ; une brèche qui n'a certes pas été ouverte par la signature du TLC, comme le reconnaissent Schwentesius et Gómez (2000), mais qui n'a pas non plus été atténuée par ce traité.
A l'heure des renégociations du TLC, le secteur agroalimentaire est dans la ligne de mire de beaucoup d'observateurs, et particulièrement –comme le commentait récemment le Ministre de l'économie, Ildefonso Guajardo (Masiosrey)– certains produits. Pourtant la différenciation entre produits existe depuis l'origine de cet accord commercial. Mella et Mercado rappellent ainsi que la "libéralisation a été conditionnée" pour certaine denrées; chacun des trois pays ayant, par exemple, défendu une liste propre de produits "protégés". D'autres pans agroindustriels, comme le sucre et les produits laitiers, ont pour leur part été ouverts plus progressivement. Schwentesius et Gómez expliquent qu'à la signature du TLC, en 1994, il existait une série d'accords parallèles spécifiques (le sucre de canne entre le Mexique et les Etats-Unis, ou les produits laitiers canadiens qui n'entraient pas dans l'accord trilatéral). Ce qui les faisaient d'ailleurs dire, qu'en matière agricole, le Mexique bénéficierait peu du TLC : pour les Etats-Unis, le Mexique représentait alors un marché potentiel important, sans qu'ils ne perdent grand chose en contre-partie. Et pourtant, dès les premières années du traité, les exportations mexicaines vers les Etats-Unis croissent à un rythme plus rapide que les importations. Toutefois, le principal bénéficiaire du TLC, à 6 ans de sa signature, reste encore –selon Schwentesius et Gómez– le Canada qui a vu s'ouvrir le marché étasunien...
Le panorama du secteur agricole que dressaient, en 2006, Mella et Mercado était beaucoup plus mitigé que celui qui est aujourd'hui présenté par les autorités mexicaines. Alors, le poids du secteur primaire dans l'économie nationale n'avait cessé de baisser depuis les années quatre-vingt (on pourrait même ajouter depuis les années soixante, voir INEGI) pour arriver à ne représenter que 2,8% du PIB en 1997-1999. Une situation clairement contrastée avec la décennie 2010, qui affiche une participation du secteur primaire à la production nationale à la hausse (8,12% du PIB en 2016).
Les deux économistes rappellent également que l'agriculture mexicaine a longtemps fait face à un déséquilibre flagrant. Les subventions accordées par les Etats-Unis et le Canada à leurs secteurs agricoles respectifs faussaient un peu plus le rapport de force. En outre, jusqu'au début des années 2000, ce secteur n'était pas orienté vers l'extérieur. 10 ans plus tard, la situation a largement été renversée.
Mais déjà, en 2006, les deux économistes repèrent les signes d'une division. Un groupe de producteurs, notamment dans l'horticulture, profite de l'ouverture et commence à exporter. Ce alors même qu'un autre groupe, celui des producteurs de grains et de cultures traditionnelles mexicaines (maïs, haricot, riz, coton), s'enfonce, lui, dans la crise ; les importations de ces denrées ayant augmenté avec la signature du TLC. Des importations de haricot ou de maïs provenant... des Etats-Unis. Et il semblerait que la tendance ne soit pas prête de s'inverser.
©Masiosarey, 2018
Mella JM y Mercado A., "La economía agropecuario mexicana y el TLCAN", Revista Comercio Exterior, vol.56, nº3, 2006
SIAP, Atlas Agroalimentario, 2017
Schwentesius R y MA Gómez Cruz, "El TLCAN y el sector agroalimentario de México", Revista Comercio Exterior, 2001