QUEBECINE: "Le cinéma québécois n'a jamais été aussi vivant"
Dans un entretien à Masiosarey, Jean-Sébastien Durocher, directeur du festival Quebecine, dont la 4ème édition démarre ce jeudi 15 février, nous raconte comment est née cette initiative. qui promeut le meilleur du cinéma indépendant québécois au Mexique. Il en profite également pour nous livrer un petit panorama du cinéma québécois, encore trop peu connu …
Masiosarey : Qu’est-ce qui vous a poussé à créer ce festival ?
J-S Durocher : J’ai commencé à plancher sur l’idée d’un « cinéclub » québécois en 2013. J’avais des amis qui me disaient : on connaît Xavier Nolan, on connaît Denis Côté… mais on voudrait en savoir un peu plus sur le cinéma québécois, qu’est-ce qu’il s’y passe ? C’est comme cela qu’est né le projet. J’avais auparavant rencontré la Délégation du Québec qui voulait organiser un évènement cinématographique à Mexico. Quand j’ai vu que le projet de cinéclub n’allait pas fonctionner, faute de financements, je me suis rapproché de la Cinémathèque nationale mexicaine. Son directeur de la diffusion et de la programmation, Nelson Carro, a tout de suite été très ouvert au concept : 10 films pendant 10 jours, le meilleur du cinéma indépendant québécois, avec une grande place accordée aux jeunes cinéastes, aux œuvres nouvelles.
La première édition a eu lieu en mars 2015. Et je dois reconnaître que l’on a rencontré un certain succès. Le lendemain même du festival, Nelson Carro m’a dit : « bon et bien on remet ça l’année prochaine ! ».
Masiosarey : Justement, quel est le rôle de la Cinémathèque dans le festival ?
J-S Durocher : Il est majeur. Aujourd’hui encore, organiser un festival, c’est travailler comme des producteurs ou des cinéastes indépendants. On le fait sans percevoir de salaires, on le fait parce qu’on aime le cinéma. Et, avec peu de moyens, on a malgré tout réussi à faire quelque chose qui se tienne. Mais, sans la cinémathèque, nous n’y serions tout simplement pas arrivé. En si peu de temps, et sans eux, il nous aurait été par exemple impossible de faire un sous-titrage de qualité.
J’irai même jusqu’à dire, qu’un des souhaits à Quebecine, c’est les québécois voient, aussi, ce qui se passe au Mexique, qu’ils s’ouvrent les yeux sur les institutions culturelles d'ici, sur leur qualité. Oui, l’Europe c’est magnifique. Mais, avec le Mexique, nous autres canadiens, nous avons des points communs. Notamment, quand on fait un film, on se bat contre Hollywood. Les salles canadiennes appartiennent à Hollywood. Elles n’appartiennent pas au Québec. Les films québécois ne bénéficient pas des canaux de diffusion dont disposent les mexicains pour projeter et présenter leur film, ici au Mexique. Dans un cadre magnifique de surcroit. Plus d’un million de personnes se rendent chaque année à la Cinémathèque. La cinémathèque de Montréal, malheureusement, rassemble quelques cinéphiles qui s’intéressent encore au cinéma, mais n’a pas réussi à attirer le jeune public. La grande force de la cinémathèque nationale du Mexique, c’est de présenter le dernier Blade Runner, de Denis Villeneuve (ce qui lui permet de remplir ses salles) et, dans le même temps, de projeter une rétrospective de cinéma Catalan (qui va bientôt avoir lieu), ou le festival Quebecine ou encore des films qui auraient peut-être plus de mal à trouver leur public. Rassembler tout ce monde, je pense que c’est un modèle pour le cinéma d’art … pour LE cinéma.
Masiosarey : On a souvent tendance à opposer cinéma d’auteur et cinéma grand public…
J-S Durocher : C’est le contraire : il ne faut pas créer de barrières. Documentaires, fictions… il faut décloisonner. Il faut juste un espace qui soit convivial, accueillant. Quelqu’un peut aller à la cinémathèque simplement pour aller y passer l’après-midi, mais autour de lui le cinéma est là. Un jour, il verra un titre qui l’attirera et il ira voir le film. Cette dynamique d’ouverture est importante. C’est une réponse pour se battre contre les complexes cinématographiques, contre un cinéma américain où les idées circulent peu. Je comprends que le streaming représente aujourd’hui un autre horizon pour le secteur mais, à mon sens, le « ensemble » reste essentiel. C’est pour cela que les festivals sont importants, plus encore quand ils sont construits sur un échange entre pays, Québec-Mexique ou France-Québec, par exemple.
La rencontre des cultures est toujours stimulante, car elle nous renvoie à nos propres images et nous questionne, inévitablement. Et les débats avec le public sont toujours hyper intéressants. D’ailleurs, les cinéastes québécois sont surpris de voir combien le public mexicain connaît le cinéma. Les journalistes aussi. « On n’a pas seulement parlé de mon film, ils ont parlé aussi de mes anciens films et puis ils m’ont parlé des autres cinéastes qui ressemblent à moi au Québec »… C’est cette interaction que je recherche aussi : par exemple, des cinéastes québécois qui sont venus l’année dernière et qui, dans leur prochain scénario, feront exister le Mexique ! J’aimerais également qu’il y ait des co-productions. Il existe une réelle proximité entre le Québec et le Mexique. Beaucoup de mexicains habitent à Montréal. Ils s’intègrent à la société québécoise très facilement. Il y a quelque chose… Une bonne connexion.
Masiosarey : Quel est le public qui vient voir le festival?
J-S Durocher : C’est difficile à savoir. La moitié de notre public est étudiante. Et, une chose est sûre, le public revient. Lors de la première édition, nous avions présenté Les Ordres, un film de Michel Brault, qui faisait suite aux évènements d’octobre 1970*. Une fiction, que le réalisateur avait filmée comme un documentaire, avec beaucoup de témoignages. Je trouvais que c’était une belle façon de commencer la première édition parce que le cinéma québécois est un peu né avec le « cinéma direct ». J’étais déjà très ému de voir que la salle était pleine, quand un monsieur est venu me dire : « Je suis très content d’être venu ici, parce que j’ai vu le film à sa première en 1973 ». L’année suivante, lors de la première du film de Philippe Falardeau, Guibord s’en va-t-en guerre, le même monsieur m’a amené l’article de journal consacré à Les Ordres, qu’il avait gardé. Je n’en revenais pas. D’une année sur l’autre, les gens m’apportent des articles sur les films qui les ont marqués. Il s’opère une réelle rencontre. Et c’est cette rencontre que les cinéastes expérimentent quand ils viennent présenter leur film à México.
Masiosarey : Comment faites-vous la sélection des films ?
J-S Durocher : Je suis le directeur de la programmation, mais on travaille en collégialité (avec mes deux extraordinaires collègues qui ne ménagent pas leur efforts). Parce que tout seul, on se questionne. Nous sommes surtout indépendants. Nous ne sommes liés à aucun distributeur, industrie, gouvernement ou quoique ce soit. C’est assez rare.
Masiosarey : L’année dernière vous étiez à San Luis Potosí, est-ce que vous comptez renouveler l’expérience en province au Mexique ?
J-S Durocher : Pour le moment, non. Nous avons décidé de nous recentrer. San Luis, c’était bien, mais ce n’était exactement ce qu’on voulait à cette étape. Cette année, nous sommes officiellement devenus un organisme à but non lucratif. Et, pour la cinquième édition de Québeciné, nous voudrions pouvoir inviter plus de cinéastes : il nous faut donc concentrer nos efforts. Nous sommes petits encore et avons besoin de structures comme la cinémathèque, qui sont capables de mettre « l’épaule à la roue ». Nous souhaitons évidemment renouveler l’expérience en province, mais plus tard.
Masiosarey : Rappelez-nous, c’est quoi le cinéma québécois à l’heure actuelle ?
J-S Durocher : Je pense que le cinéma québécois n’a jamais été aussi vivant, aussi fort qu’en ce moment, avec des propositions très variées de cinéastes émergeants. Et, à côté de ce jeune cinéma émergent, il y a aussi un autre mouvement : celui des québécois qui réussissent à Hollywood, comme Denis Villeneuve, qui a réalisé le dernier Blade Runner, ou Jean-Marc Vallée, multi-nominé pour sa série Big Little Lies qui fait un grand malheur.
Chaque année, je suis étonné de voir autant de nouveaux films. A chaque fois, avec une grande maturité. Cette année par exemple, Pascal Plante devait venir présenter son film ici, mais entre-temps la Berlinale l’a invité (ils nous ont copié!). Il s’agit d’un premier film, mais ce sont des projets qui ont une telle maturité qu’ils sont déjà intéressants à l’international. Je crois que c’est assez nouveau dans l’histoire du cinéma québécois : autant d’œuvres et de premières œuvres, qui traitent de sujets aussi divers. Cette année, par exemple, on a un film de zombies ! Des films de zombies, il n’y en avait pas souvent… en fait il n’y en avait pas. C’était mal vu. C’est d’ailleurs le premier film de zombis que je vois de ma vie ! Et c’est un vrai film québécois, dans ce sens que des femmes sont la force du film. Ces femmes ne vont pas attendre d’être sauvées, elles vont prendre leur destin en main. Chaque année, je suis surpris. On visionne une cinquantaine de films par an pour faire la sélection et il est dur d’en laisser de côté pour arriver à notre sélection finale de 10 films.
Masiosarey : Et quelles sont les grandes figures du cinéma québécois ?
J-S Durocher : L’Office national du film au Canada (ONF) est né en 1939. Jusque dans les années cinquante, l’ONF est installée à Ottawa entre Toronto et Montréal. Puis les studios déménagent à Montréal. Et c’est là que ça va exploser. Là-bas, les francophones sont en ébullition, il y a vraiment un mouvement culturel.
Le cinéma québécois est un peu né avec le « cinéma direct ». C’est, de fait, le plus grand leg du cinéma québécois. En 1958, pour la première fois caméra à l’épaule, Michel Brault, avec le preneur de son Marcel Carrière, réalisent un documentaire pour l’ONF, synchrone. Le Québec est alors à l’aube de la révolution tranquille et les cinéastes, les intellectuels veulent aller à la rencontre du peuple québécois. Ils partent dans les bois, faire des films qui vont marquer l’histoire du « cinéma direct ». Le chef d’œuvre, Pour la suite du monde est réalisé en 1963 par Michel Brault et Pierre Perrault. La caméra étant devenue légère, la voie est ouverte. En France, Godart, Truffaud prennent aussi la caméra à l’épaule. Jean Rouch décide travailler avec Michel Brault. Et c’est comme cela que les cinéastes de la Nouvelle Vague ont commencé à quitter les studios. L’apport du « cinéma direct », qui est devenu une forme du tournage du documentaire, a permis aux cinéastes de fiction de faire un cinéma différent. Mais « cinéma direct » ne signifie pas filmer la réalité. Même dans les documentaires, il y a déjà de la fiction, une mise en scène.
Masiosarey : Quel est l’impact du festival, plus généralement, sur le cinéma Québécois ?
J-S Durocher : Au début, les distributeurs québécois étaient méfiants car, logiquement, ils essayaient de placer leurs films dans des festivals importants. Du coup, quand je veux vraiment un film, je m’adresse directement au cinéaste. Et on a été chanceux ! Philipe Falardeau, qui était venu au Mexique en vacances, avait vu la cinémathèque et s’était dit : « je veux un jour présenter un film ici ». Aussi, quand il a reçu mon invitation, il a tout de suite accepté. C’était génial de pouvoir ouvrir ce festival avec un cinéaste important, qui avait été nominé aux oscars (pour le meilleur film en langue étrangère en 2011, avec Monsieur Lazhar). En 5 ans, nous avons construit une réputation assez solide. Aujourd’hui, les réalisateurs me disent qu’ils veulent participer au festival. Et, grâce à la récurrence du festival, le public commence à connaître les cinéastes. Cette année, Philippe Falardeau revient. C’est la deuxième fois en 4 ans. Qu’est-ce que cela signifie ?... Que lui aussi a aimé venir ici. Et surtout, je crois, qu’il considère que Quebecine a un potentiel réel. Il voit bien la curiosité du public mexicain et il a compris que le Québec a tout à gagner à présenter son cinéma en Amérique latine.
Le cinéma que l’on présente n’est pas celui que les gens vont voir au Québec. Et ce n’est pas parce que le public n’est pas intéressé ; c’est parce qu’il n’y a pas de salle. Voilà, la vraie raison. Le Québec appuie mal la culture : on produit des films mais sans leur donner la chance d’être vus! En gros, il manque des espaces attrayants, ouverts à tous, qui montreraient –aussi– du cinéma d’art et d’essai. A cela, s’ajoute le fait que les films restent une à deux semaines en salle, ce qui est beaucoup trop court. Bref, les entrées ne sont pas énormes au Québec. A tel point que l’on a même réussi à dépasser les entrées du Québec au Mexique ! L’année dernière nous avons eu trois films qui sont restés six semaines à l’affiche à la Cinémathèque. Et je ne crois pas qu’ils aient eu cette chance au Québec.
Je suis persuadé qu’il existe un public pour le cinéma québécois, mais peut-être n’est-il pas (seulement) au Québec ? Et ce public, il faut aller le chercher. En faisant le festival, je ne pense pas seulement au public francophone, je pense avant tout aux mexicains. Quebecine, c’est une rencontre avec les mexicains. C’est un festival qui est fait pour durer. Pour y arriver, chaque année, nous travaillons à temps plein pendant six mois. Un gros investissement pour une petite équipe. Mais on l’aime ce festival ! Un rythme de fous pour arriver au lancement ce jeudi soir…et puis après… le relais sera pris par les films, la parole sera la leur. Ce serait trop triste de laisser tomber cela.
Pour en savoir plus
Sur le cinéma direct, voir l’entretien de Michel Brault
Et sur son influence sur le cinéma français
*La crise d’octobre 1970 au Québec fait suite à l’enlèvement d’un délégué commercial britannique à Montréal par des membres du Front de libération du Québec, puis à l’enlèvement et à l’assassinat du ministre du travail et de l’Immigration du Québec. Le gouvernement du Québec demande alors formellement l’intervention des forces armées fédérales qui instaurent des mesures de guerre. Près de 450 citoyens seront détenus.