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L'image de la discorde


Le culte de Guadalupe : superficiel et idolâtrique? C'est ce que semble penser en 1556 le responsable des franciscains au Mexique, Francisco Bustamente... Une image qui sema la zizanie dans le gotha ecclésiastique donc dans toute la bonne société mexicaine. Retour sur une discorde qui marque le début d'un culte... Une première enquête qui nous plonge dans les grandes polémiques de l'histoire.

« … en una ermita y casa de Nuestra Señora, que han intitulado de Guadalupe, es en gran perjuicio de los naturales porque les daban a entender que hacia milagros aquella imagen que pintó un indio, e así que era dios y contra lo que ellos habían predicado e dioles a entender, desde que vinieron a esta tierra, que no habían de adorar aquellas imágenes, sino lo que representaban, qué está en el cielo ».

Image Wiki commons

La peinture de la Guadalupe fut-elle commandée par les plus hautes autorités de l’Église et promue comme une image qui fait des miracles, cela dès 1555 ? C’est du moins l’accusation portée par Francisco de Bustamente dans un sermon prononcé à l’occasion de la célébration de la nativité de la Vierge le 8 septembre 1556. Bustamente y dénonçait virulemment le développement soudain du culte de la Guadalupe, jugé superficiel et idolâtrique. Il s’opposait également ouvertement à Alonso de Montufar, le nouvel archevêque de Mexico, promoteur du dit culte. Si le texte du sermon ne nous est pas parvenu, on en connaît le contenu grâce à l’Information réalisée dans les jours qui suivirent par les autorités de l’Église : une enquête dans laquelle huit témoins firent une déposition.

L'accusation du provincial Francisco de Bustamente

Le sermon du 8 septembre 1556 est prononcé dans l’église de Saint François[1] à Mexico devant le « gratin » de l’époque (« presidentes y oidores de la Real Audiencia »). Francisco de Bustamente, provincial (numéro un) de l’ordre franciscain, s’exprime d’abord longuement sur la nativité de la Vierge. Puis, coup de théâtre, il termine son homélie par une dénonciation en règle du culte de la Vierge de Guadalupe, selon lui, inventé de toute pièce : « había sido inventado ayer ».

Le plus grave sans doute, d’après Bustamente, est le caractère idolâtrique du culte, qui donne à une image peinte par un Indien le pouvoir d’opérer des guérisons miraculeuses. Or, cette promesse aux populations indiennes fait échos à un contexte apocalyptique, décrit comme tel par les premiers évangélisateurs. En effet, depuis la Conquête, les Indiens sont décimés par les épidémies portées par l’envahisseur. Et les franciscains, qui vivent au plus proche des communautés locales depuis leur arrivée au Mexique en 1524, sont bien placés pour savoir qu’aucun miracle ni aucune prière n’a pu sauver les populations indiennes de l’hécatombe démographique. En s’apercevant de la supercherie, les Indiens ne risquent-ils pas de perdre la foi ? L’entreprise d’évangélisation des premiers missionnaires dans son ensemble se voit ainsi menacée. Et le rêve, longtemps caressé, d’instituer un clergé indien se retrouve soudainement balayé par une image miraculeuse « peinte par un Indien », aux antipodes de tout ce que les franciscains avaient professé, étudié et cru jusque là. En 1556, voilà que les franciscains ne sont plus en phase avec leur temps...

C’est qu’en Europe, les idées de Luther, devenues virales grâce à l’imprimerie et l’usage des langues vernaculaires (depuis l’ordonnance de Villiers-Cotterêts de 1539¸ le français remplace le latin dans le droit et l’administration), ont bouleversé en quelques années l’horizon géopolitique et religieux. Des pays entiers sont devenus protestants et s’affranchissent de l’autorité papale pour l’éternité. Des peuples se déchirent dans la guerre. Et l’Église catholique et les Rois Catholiques contre-attaquent, plus conquérants que jamais, notamment dans les royaumes américains.

Le pari sensationnaliste de l'archevêque Alonso de Montufar

Quelques mois seulement après son arrivée, en 1555, Alonso de Montufar, le nouvel archevêque du Mexique, définit donc les contours de cette église contre-réformiste mexicaine, qui parie sur les émotions et la séduction, plus que sur l’intellect. Car le nouvel archevêque croit au pouvoir de l’image qui « marque » les esprits, qui imprime des émotions, l’image qui fascine. Une image thaumaturge, qui guérit et qui fait des miracles. Et tant pis si l’adoration de l’image de saints et de vierges chrétiennes risque de se fondre avec celle de divinités précolombiennes. D’ailleurs, le nouvel archevêque compte bien sur la superposition des images pour accélérer l’évangélisation. L’Église tridentine (contre-réformiste) appuie désormais pleinement l’adoration d’images syncrétiques. Et le cas de la Guadalupe est loin d’être isolé. A partir de la seconde moitié du XVIe siècle, vierges, saints, archanges surgissent et se multiplient dans les cieux de la Nouvelle Espagne, et leurs cultes prolifèrent.

Et, habile politicien, le nouvel archevêque est bien décidé à aller encore plus loin. Son prochain objectif : reléguer les franciscains au second plan et asseoir l’autorité de l’Église séculière[2] avec la création d’un clergé local créole...

Le déclin des franciscains au Mexique

Objectif atteint puisque les franciscains abandonnent le projet de bâtir un clergé indien et perdent la direction de l’Église mexicaine. Néanmoins, ils demeurent influents pendant encore une trentaine d’années après l’Informe de 1556 dans la sphère de la production des savoirs. C’est dans le sein de leurs monastères et de leurs écoles, en particulier à Tlatelolco, avec les informateurs et les peintres-scribes nahuas, qu’ils produisent des monuments de la connaissance : des dictionnaires, des grammaires en langues indiennes, des chroniques et des encyclopédies, qui représentent aujourd’hui l’un des corpus de sources les plus importants pour l’étude de nombreuses cultures précolombiennes mésoaméricaines. On pense au Codex de Florence, encyclopédie en XII volumes sur les mondes indiens, réalisée sous la direction de fray Bernardino de Sahagún. La confiscation de l’œuvre entre 1577 et 1580 par la couronne d’Espagne sonne définitivement le glas de l’esprit franciscain érasmien humaniste des premiers temps de l’évangélisation. Une ère nouvelle, comme un nouveau soleil, émerge. Les Jésuites prennent le relais.

A l'origine du culte

L’enquête de 1556 est le premier document qui cite officiellement la Vierge de Guadalupe. Elle la présente comme une création du nouvel archevêque, Alonso de Montufar. Le culte dédié à "Nuestra Señora de Guadalupe de Mexico" fut impulsé en 1555 par le dit archevêque grâce à la promesse de guérisons miraculeuses d’une image peinte par l’Indien Marcos. Le choix du Tepeyac était stratégique puisqu’il s’agit de la principale “porte” (!!) d’entrée nord sur le grand bassin hydraulique qu’est encore Mexico, dans cette seconde moitié du XVIe siècle. Le commerce y transite, donnée qui n’a pu échapper à l’archevêque, business man avant l'heure. Et le lieu jouit aussi d’un immense prestige et d’une aura sacrée puisque les Indiens y vénéraient une déesse mère protectrice, incarnation de l’énergie chtonienne, nocturne, lunaire et magique de l’univers, celle qui dévore et celle par qui l’on nait, surnommée Tonantzin, “Notre Mère chérie”. D’autre part, on observe une absence remarquable puisqu’il n’est question ni des apparitions de la Vierge à l’Indien Juan Diego, ni de l'impression surnaturelle de l’image sur l'ayate (la "cape") de l’Indien, autrement dit à cette date le storytelling n’a pas encore été écrit. Ce n’est qu’à la fin du XVIIe siècle que la première basilique de Guadalupe fut construite, soit presque 150 ans après l’Information de 1556.

Le sermon de Bustamente est à la fois le premier et le dernier sermon anti-guadalupano, mais le premier d’une longue série de sermons à caractère politique, tribunes du “criollo power” - les créoles sont les Européens nés en Amérique et l’identité créole, la conscience d’une originalité propre, américaine - dont la Guadalupe devint le symbole absolu. À la fin du XVIIIe siècle, fray Servando de Mier faisait un autre sermon retentissant dans la basilique du Tepeyac, aux antipodes de celui de 1556. Mais c’est une autre histoire!

©Marion Du Bron pour Masiosarey, 2017

Pour en savoir plus:

  • Informe de 1556

  • La Guerre des Images, Serge Gruzinski

  • Destierro de Sombras, Edmundo O’Gorman

  • Our Lady Guadalupe, Stafford Pool

  • Quetzalcoatl et Guadalupe, Jacques Laffaye,

 

[1] Aujourd’hui derrière la Torre Latinoamericana. Le couvent a disparu depuis (et sa bilbliothèque avec ) longtemps – les lois de Réforme de Juarez -, mais il reste des vestiges des murs et l’église dont les sculptures et les décorations ont été pillées.

[2] La question des juridictions ecclésiastiques et de la levée du diezmo est centrale dans cette affaire… La passation officielle du pouvoir eut lieu en 1555.

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