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L'école au Mexique (2)


"Comment est-il possible que, avec une matière primaire de qualité humaine si évidente, les produits de notre école soient, en termes généraux, si peu satisfaisants?" Une question cruciale que se posait déjà Jaime Torres Bodet, ministre de l'éducation publique en 1944*. Une question visiblement toujours d'actualité à la lecture des résultats des différentes évaluations menées au Mexique...

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Après avoir dressé un premier état des lieux chiffré de l'école mexicaine (de la maternelle au collège), nous poursuivons notre enquête avec un point particulièrement épineux : comment cette école est-elle évaluée ? Depuis la perspective internationale, les résultats de l'évaluation PISA de l'OCDE ne sont pas très encourageants... même si, sur certains aspects, le panorama n'est pas si sombre. Au niveau national, le Ministère de l'éducation a lui aussi tenté, depuis une dizaine d'années et avec plus ou moins de succès, de systématiser l'évaluation. Un enjeu au coeur de la nouvelle réforme éducative...

Des élèves pas très bien évalués par l’OCDE

PISA (Programme international pour le suivi des acquis des élèves) est un examen indicatif impulsé par l’OCDE, visant a évaluer les résultats des programmes d’enseignement dans le monde. Tous les trois ans, les connaissances d’environ 500.000 étudiants de 15 ans (âge de la sortie du collège) originaires de 72 pays –membres et non-membres de l’OCDE– sont ainsi testées simultanément. Au-delà des classements par pays et par discipline (sciences, mathématiques et compréhension de la lecture) énormément commentés dans les médias, l’OCDE produit également des documents de travail et synthèses par pays, intégrant des paramètres d’analyse tels que l’égalité garçon/fille ou encore l’inclusion sociale.

Dans le registre des mauvaises nouvelles donc : depuis 2006, le Mexique se situe à la traine et bien en dessous de la moyenne des 35 pays de l’OCDE (PISA - Note pays). En sciences et en lecture, le niveau reste stable depuis 2006 et, en mathématiques, le résultat a même –en moyenne– progressé de 5 points tous les trois ans. Mais, dans ces trois champs d'apprentissage, les résultats restent toutefois en-deçà de la moyenne. Par ailleurs, l’OCDE rappelle que le Mexique investit à peine un tiers de ce qu’investissent les autres pays de l’OCDE pour former un élève entre 6 et 15 ans. Un chiffre qui peut être regardé comme médiocre, dans la mesure où le PIB par habitants au Mexique correspond, lui, à 44% de la moyenne OCDE.

Le Mexique se situe également dans le peloton de tête des échecs scolaires, avec la plus haute moyenne d’élèves n’arrivant pas à atteindre le niveau 2 (supposé être atteint par tout étudiant ayant terminé l’école obligatoire). Une situation qui touche 48% de jeunes mexicains, contre 20% en moyenne parmi les pays membres de l’OCDE en 2015. Mais il y a cependant une lueur d’espoir dans ce sombre panorama. Depuis 2006, les résultats des étudiants les moins bons ont progressé en moyenne de 7 points tous les trois ans. Une amélioration qui s’observe tant en lecture qu’en mathématiques. Ainsi, en matière d’elèves en difficulté, le Mexique se situe-t-il toujours en-dessous de l’Espagne, du Portugal ou encore du Chili ; et à peu près au même niveau que la Colombie, Trinidad et Tobago ou la Turquie. Mais il dépasse le Brésil et le Pérou... Maigre consolation. Mais consolation quand même.

A l’autre extrême, moins d’un pourcent des jeunes mexicains ont des résultats de haut niveau (0,1% en sciences, alors que la moyenne OCDE est de 8%). Alors, bonne ou mauvaise nouvelle ? Faut-il voir là la preuve de l’incapacité d’un système à créer les conditions de l’excellence pour ses étudiants, ou celle d’une moindre inégalité face à l’éducation ?...

Mais des élèves pas si inégaux entre eux et particulièrement sensibilisés aux sciences

En effet, et étonnement, l’impact des moyens socioéconomiques de la famille sur les résultats d’un élève au Mexique est assez proche de la moyenne de l’OCDE. Autrement dit, l’appartenance à une catégorie sociale favorisée n’explique, selon PISA, que 11% des variations dans les résultats (la moyenne OCDE étant de 13%). A l’inverse, pourtant, seuls 13% des étudiants socialement défavorisés obtiennent de bons résultats, alors que la moyenne de l’OCDE tourne autour de 29%. Un problème qui semble affecter l’ensemble des pays latino-américains.

Le Mexique est également plutôt un bon élève dans la lutte contre les inégalités garçon/fille à l’école. En se focalisant, en 2015, sur les résultats obtenus en science, les conclusions PISA sont sans appel : au Mexique, les filles autant que les garçons manifestent un intérêt scientifique plus développé que la plupart des élèves des autres pays de l’OCDE. De plus ils s’imaginent plus fréquemment travailler dans un domaine en relation avec la science. Une posture des étudiants mexicains qui contraste toutefois fortement avec leurs propres résultats en sciences dans le cadre de l’évaluation PISA... ce qui semble d’ailleurs laisser les évaluateurs sans voix. Le programme PISA évalue aussi « l’auto-efficacité » c’est-à-dire la perception que les élèves ont de leur propre capacité à répondre aux questions scientifiques. Et, dans ce cadre, le Mexique fait partie des cinq pays où l’auto-efficacité est aussi élevée chez les filles que chez les garçons. Et là encore, une nouvelle surprise : les mexicains (aussi bien les garçons que les filles) sont nombreux à avoir apprécié leur apprentissage en sciences.

Au-delà des critiques légitimes qui peuvent être portées à l’encontre du système d’évaluation et de classement de l’OCDE dans le cadre du PISA (voir notamment l’article de la BBC qui met en cause la méthodologie du classement ou encore celui de The Guardian qui expose les reproches faits à l’imposition d’un modèle standardisé d’éducation souvent incompatible avec les contextes et priorités de chaque pays), la médiatisation tous les trois ans de ce célèbre ranking a des effets non négligeables sur les responsables des politiques d’éducation, qui prennent alors la mesure du chemin à parcourir pour remédier aux retards.

Une évaluation mise au coeur de la réforme scolaire: de ENLACE à PLANEA

Pendant de nombreuses décennies, les seuls indicateurs pour évaluer la qualité de l'enseignement au Mexique ont été le taux d'alphabétisation et celui de couverture scolaire, c'est-à-dire le nombre d'enfants qui vont effectivement à l'école. Dans les années cinquante, la plus grande préoccupation du ministre de l'éducation publique, Jaime Torres Bodet**, restait le taux de désertion scolaire, particulièrement fort, même dans le premier cycle et dans les villes (63% des enfants abandonnaient l'école dès la première année de primaire et seuls 23% d'entre eux achevaient la dernière année!)***. ´

En 1940, l'analphabétisme absolu touchait presque 48% de la population mexicaine. Mais c'était sans compter l'illettrisme qui, lui, pouvait atteindre près de 60% dans certaines régions**** . A l'heure actuelle, le taux d'alphabétisation a drastiquement évolué : 92% des mexicains de plus de 15 ans savent lire et écrire, même si de fortes disparités régionales persistent. Avec un taux d’alphabétisation de 97%, la Ville de Mexico arrive, sans trop de surprise, en tête du classement, talonnée par les états du nord et du centre-nord du pays (Coahuila, Basse Californie, Sonora, Aguascalientes, Nuevo León). Au total, une vingtaine d’états se situent au-dessus de la moyenne nationale. A l'opposé, Veracruz, Oaxaca, Guerrero et Chiapas se disputent les dernières places. Avec une différence de 16 points entre le premier et le dernier du classement !

Dès lors que le taux de couverture ne constitue plus l'urgence nationale en matière d'éducation, la question de la qualité de l'enseignement de base (mathématique, espagnol et sciences) devient la priorité. Suivant les tendances internationales, à la fin des années quatre-vingt-dix, le ministère de l'éducation publique décide donc, quoique timidement, d'appliquer les évaluations internationales de l'époque et commence à organiser des épreuves nationales (Cordero, Serrano et Patiño 2013). Une évaluation nationale des élèves encore embryonnaire car irrémédiablement liée à l'évaluation des professeurs qui était, elle, menée par le syndicat des travailleurs (Ornelas, 2012).

La décennie 2000 marque un tournant avec, d'abord, la création en 2002 de l'Institut national pour l'évaluation de l'éducation (INEE) et la mise en place de l'"Epreuve ENLACE", acronyme de Exámenes Nacionales del Logro Académico en Centros Escolares, à partir de 2006. A l'origine il s'agissait de rétro-alimenter les professeurs sur l'état des connaissances des élèves. Ainsi, entre 2006 et 2013, 98 millions d'élèves de 3ème et 6ème années de primaire et de 3ème année de secondaire ont été évalués sur leurs connaissances académiques en espagnol et mathématique, puis sur une troisième discipline qui changeait chaque année (science, géographie, éducation civique). Le rapport qui synthétise l'évolution des résultats de cette épreuve au fil des années montre une baisse constante des résultats "insuffisants et élémentaires" et une augmentation des résultats "bons et excellents". Avec quelques résultats régionaux pour le moins étonnants : en 2013, notamment, les états de Chiapas ou de Guerrero ont affiché un pourcentage de résultats "bons et excellents" en mathématiques supérieurs à ceux de la Ville de Mexico ou encore de la Basse Californie. Cette même année et de leur côté, les états de Querétaro et Aguascalientes, plutôt bien évalués par l'épreuve PISA, apparaissaient en bas du tableau ENLACE !

Pour les détracteurs de cette évaluation, l'erreur est d'avoir mis en relation les résultats des écoles et les incitations financières accordées, à partir de 2008, aux professeurs. Ainsi les professeurs d'une école ayant de bons résultats à l'épreuve Enlace ont-ils commencé à percevoir l'équivalent d'une prime. L'organisation se faisant localement, au sein des établissements, il était donc assez légitime de douter des résultats... Ce que ne manque pas de faire l'alors tout récent ministre de l'éducation publique du nouveau gouvernement de Peña Nieto. Emilio Chauyffet dénoncera une évaluation, selon lui, dévoyée, le manque de transparence, la corruption, la tricherie... (Aristegui Noticias). En plein scandale politique et remise en cause médiatique, l'évaluation ENLACE 2014 sera annulée.

Au-delà des critiques faites à l'encontre d'une évaluation volontairement standardisée, l'instrumentalisation politique de l'épreuve Enlace n'a pas permis d'établir de manière pérenne le système d'évaluation dont le pays avait besoin. Elle représente cependant un antécédent important, car elle a eu le mérite d'habituer professeurs et élèves à une évaluation annuelle.

Le gouvernement ne s'y est pas trompé en réorganisant en 2016 une nouvelle évaluation nationale, PLANEA, remplaçant ENLACE. D'autant qu'il semblerait que des leçons aient été tirées : l'examen sera appliqué par un personnel externe à l'établissement, les résultats seront contextualisés et surtout n'auront pas d'impact sur l'évaluation des professeurs ou des écoles. Des autorités éducatives qui apprennent de leurs erreurs? N'est-ce pas ce à quoi sert l'évaluation au final?

©Masiosarey, 2017

Pour en savoir plus : un article particulièrement clair et complet sur l'évolution de l'évaluation scolaire au Mexique dans la revue Nexos de 2014, co-écrit ni plus ni moins par un ancien membre de l'Institut national d'évaluation éducative devenu président de ce même institut, Eduardo Backhoff.

 

*Discours prononcé à l'occasion de l'inauguration du premier cycle de travaux de la Commission de révision et de coordination des plans éducatifs, programmes d'études et textes scolaires, le 3 février 1944.

**Jaime Torres Bodet avait secondé le premier ministre de l'éducation publique José Vasconcelos dans les années vingt, et par la suite occupa deux fois ce poste (1943 à 1946 pendant la présidence de M. Ávila Camacho et de 1958 à 1964 pendant celle de A. López Mateos)

*** Jaime Torres Bodet, Textos sobre educación, CNCA, 1994.

**** Secretaria de gobernación, Seis años de actividad nacional, 1946

Pour en savoir plus:

Ornelas C., Educación, colonización y rebeldía, La herencia del pacto Calderón-Gordillo, Siglo XXI, 2012.

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