La sortie des Accords de Paris signe-t-elle la fin de l’American dream?
« Trump tourne le dos à la planète » (Le Monde), « Trump Pulls U.S. Out of Climate Accord » (The NY Times), « Trump’s climate deal decision alarms leaders worldwide » (The Washington Post)… Les grands titres de la presse internationale semblent traiter cette nouvelle comme s’il s’agissait de la dernière fantaisie d’un président imprévisible. Pourtant nous ne sommes plus dans la configuration des premiers décrets discriminatoires. La décision de Donald Trump est celle des Etats-Unis. Et, sur ce sujet, il dispose de l’appui du congrès. Ce n’est donc pas Trump qui s’est retiré des Accords de Paris, ce sont les Etats-Unis qui abandonnent une instance fondamentale de la gouvernance mondiale.
Les Etats-Unis ont choisi de se mettre à l’écart. Ils ont décidé sinon de se retirer des affaires du monde, du moins de céder leur place de leader idéologique mondial; position gagnée au fil des deux siècles derniers et qu’ils avaient réussi à conserver à la fin du XXème malgré de nombreuses entorses à leur propre idéologie. Obama aura-t-il été le dernier des grands leaders du « pays de la liberté », du pays qui, malgré la guerre du Vietnam et malgré son soutien aux dictatures d’Amérique latine, avait réussi à passer le tournant du siècle en vainqueur de la guerre froide et libérateur de l’étau stalinien, après l’avoir été du nazisme ?
On n’a pas fini de mesurer les conséquences de ce repli étasunien
Si ce pays n’apparaissait pas aux Français comme un modèle de démocratie, pour beaucoup de peuples, il était symbole de liberté, espoir de réussite, havre de paix. En Amérique latine aussi : malgré tout le ressentiment que les Gringos peuvent inspirer, malgré le mur, malgré le racisme… les Etats-Unis continuaient à exercer une véritable fascination sur nombre de jeunes ne trouvant pas d’avenir dans leur propre pays.
Certes, l’image des Etats-Unis ne va pas se ternir en quelques jours, mais le chemin est tracé. Et sauf revirement radical inattendu et fort improbable, cette politique de décadence de l’Amérique va se poursuivre. Car Trump n’est pas un accident de parcours, il est le résultat de la situation sociale et politique de ce pays. Comment se faire l’apôtre de la liberté après la guerre d’Iraq et Guantanamo ? Où est le rêve américain lorsqu’on constate qu’une proportion non négligeable des actifs, ne pouvant pas se loger, habitent dans leur voiture ou dans la rue ; que les malades meurent dans les files d’attente des quelques hôpitaux accessibles aux plus pauvres ; que l’espérance de vie baisse chaque année sauf pour les plus riches, et que les profits vertigineux de quelques-uns détruisent les espoirs de la grande majorité.
Peut-être Trump cédera-t-il sa place d’ici la mi-mandat, si les investigations en cours aboutissent et si les Républicains l’abandonnent. C’est, en tout cas, à souhaiter. Il serait alors remplacé par un personnage plus présentable, qui probablement même cherchera à renouer avec les accords de Paris. Ce sera une bonne nouvelle pour le climat. Mais le mal idéologique est fait, et la position diplomatique des Américains définitivement dégradée. Ils ne retrouveront plus le statut de leader du « Monde libre » qui a été le leur. D’ailleurs ce terme lui-même a perdu de son sens et n’est plus guère employé…
Il y a-t-il un autre candidat au leadership mondial ? Rien n’est moins sûr
Faut-il s’en réjouir ? Il y a-t-il un autre candidat au leadership mondial ? Rien n’est moins sûr. Les Européens vont jouer leur carte. Mais s’ils constituent, ensemble, la première puissance économique mondiale, ils seront prochainement doublés par la Chine puis par l’Inde. Par ailleurs, l’Europe traverse elle aussi une crise identitaire, qui s’est notamment traduite par le départ de la Grande Bretagne et le repli nationaliste des pays de l’ex bloc de l’Est. L’assurance dont fait preuve l’Allemagne, sa stabilité politique et l’arrivé au pouvoir en France d’un apôtre de l’Union donneront-ils au projet Européen le second souffle qui en fera à nouveau une référence mondiale ? C’est évidemment à souhaiter. Mais, même une Europe relancée et fière d’elle-même, championne des droits de l’homme et économiquement prospère, ne remplacera pas le rêve américain ; un rêve qui ne reposait d’ailleurs pas sur un projet volontaire, mais qui prenait racine dans la révolution industrielle du XIXème siècle.
Le Monde qui vient est définitivement multipolaire
La Chine n’a pas encore pris ses marques de leader mondial et déjà sa position est contestée par l’Inde. Quant à l’Europe, malgré sa puissance économique, la voilà appelée à ne jouer qu’un rôle régional, dans un environnement instable (Europe, méditerranée, Afrique) et contestée à l’Est par l’autre grande puissance européenne : la Russie de Poutine.
Doit-on se réjouir de la fin de l’Empire ou regretter la fin du rêve américain ? Même s’il ne s’agissait que d’une illusion, celle-ci alimentait les rêves de millions de jeunes du monde entier depuis plus d’un siècle. Qui offrira le même espoir ? N’oublions pas que la montée de l’islamisme est, aussi, un effet collatéral de la disparition des horizons de migration et de réussite qu’ouvrait l’Oncle Sam…
Pascal Renaud*
* Pascal Renaud est spécialiste des nouvelles technologies de l’information. Chef de la Mission informatique de l’ORSTOM (IRD) entre 1987 et 1995, il a participé à la mise en place des premiers relais de l’internet dans une dizaine de pays africains (projet RIO.net). En 1995, il rejoint l’UNITAR (Institut des Nations unies pour la formation et la recherche), où il crée le programme « Société de l’information et développement ». Chercheur à l’IRD, spécialiste des incidences des usages des TIC dans les sociétés en développement, il collabore avec des équipes de recherche mexicaines depuis 2010 (il a ainsi été représentant de l’IRD au Mexique en 2014). Pascal Renaud vit actuellement entre la France et le Mexique.
Illustration : Tibor Janosi Mozes / Pixabay