Avec distance : les élections françaises analysées par les chercheurs mexicains
Au Mexique aussi les universitaires observent avec attention les élections présidentielles françaises. Le 27 avril dernier, une table ronde dédiée à cette campagne et organisée par El Colegio de México, réunissait les chercheurs Elodie Brun (France), Soledad Loaeza (Mexique) et Jean-François Prudhomme (Canada)...
Loin des remous, des prises de position controversées et des guerres intestines de l’entre-deux tours qui agitent les médias traditionnels et envahissent les réseaux sociaux dans tout l’Hexagone, cette table ronde a été l’occasion d’analyser la situation politique française avec distance. Ni débats d’idées, ni consignes de vote ; mais une discussion de science politique appliquée au cas français, salutaire pour tout le monde.
Ce jeudi, le public était au rendez-vous à El Colegio de México : une cinquantaine de personnes, étudiants, chercheurs et curieux, et même quelques français... avec pour point commun l’envie de trouver des perspectives nouvelles dans la compréhension des élections présidentielles françaises. Interêt largement satisfait par les trois chercheurs présents. Durant deux heures, ils ont rappelé le fonctionnement du système électoral français, se sont exprimés sur la montée en puissance du Front National et ont analysé la « crise des partis » révélée par ce premier tour.
Le point fort de cette table ronde fut sans nul doute la richesse du regard extérieur : qu’il s’agisse des interventions des chercheurs ou des questions de la salle. Après le rappel pédagogique d'Elodie Brun sur le système électoral français et le déroulement des élections antérieures, Soledad Loaeza a recontextualisé l'émergence du Front National. Les partis d’extrême-droite français, anglais, hongrois ou allemands, nous dit-elle, sont –dans la lignée du poujadisme– foncièrement exclusifs, populistes, dressant le peuple contre une « élite politique corrompue » et désignant l’étranger comme bouc-émissaire ; ce dernier procédé ayant été renforcé depuis quelques années par l’arrivée en Europe d’une nouvelle vague migratoire. Esquissant un parallèle avec l’Amérique Latine, la politiste a insisté sur le caractère émotif, l’appel aux sentiments sur lequel s’appuient ces populismes. Elle s’est également attardée sur la volonté de Marine Le Pen de s’identifier à Donald Trump, ainsi que sur sa proximité grandissante avec Vladimir Poutine.
En replaçant ainsi le succès du Front National dans un contexte européen et international, Soledad Loaeza a invité le public à sortir des considérations habituelles sur ce parti, pour comprendre l’ascension de l’extrême-droite et d’en envisager les dangers au niveau mondial. Quand les Français s’inquiètent des conséquences possibles de la victoire de Marine Le Pen (recul des droits des étrangers sur le sol français, mesures attentatoires aux libertés individuelles, etc), la chercheuse attire l’attention sur les dangers que représenterait une telle victoire au niveau mondial.
En conclusion de son intervention, Soledad Loaeza a rappelé que la victoire de l’extrême-droite était aussi le corollaire de la défaite de la droite, parti affaibli par les innombrables affaires. L’arrivée au second tour de deux candidats aux partis très faibles (En Marche existe à peine depuis un an, et le Front National ne compte que deux députés à l’Assemblée Nationale) témoigne ainsi d’une recomposition des partis, inédite dans l’histoire de la Vème République.
Jean-François Prudhomme a fait de ce constat le centre de son intervention. Selon lui, cette élection a révélé une « impulsion de rénovation des partis de la Vème République ». En effet, c’est la première fois dans l’histoire de la Vème République que le parti traditionnel de droite n’est pas présent au second tour. Et l’absence des deux grands partis traditionnels au second tour sonne le glas de la polarisation gauche-droite. Jean-François Prudhomme explique ce virage par l'assimiliation croissante, du point de vue de l'électorat, des politiques menées par les Républicains et par le PS, par un mauvais bilan du quinquennat Hollande ainsi que par une fatigue face a la multiplication des « affaires ». Tout cela mis bout à bout, nous dit le chercheur du Colmex, attise une volonté de rénovation de la classe politique. Jean-François Prudhomme conclut son intervention en soulignant que les élections législatives à venir seront « l’épreuve du feu » pour les partis… tout en soulignant qu’il sera difficile de mobiliser les militants, déçus par la campagne comme par le résultat de cette élection.
Pour leur part, les questions de l’assistance ont été révélatrices des préoccupations internationales quant à cette élection. Les populismes de gauche et de droite, l’influence de la Russie sur les élections en Europe et ses liens avec Marine Le Pen, les liens entre Trump et Le Pen, la montée du racisme dans le « pays des droits de l’Homme », la place de la crise financière dans les débats, les positions des candidats sur les conflits au Mali ou en Syrie, l’écologie grande absente des programmes des finalistes,… les questions des participants attestent que les français ne sont pas les seuls concernés par ces élections. L’arrivée au pouvoir de Macron ou de Le Pen aura évidemment des conséquences directes sur la France, mais elle en aura aussi sur les autres pays.
Et il est particulièrement intéressant de noter que la majorité des sujets abordés par le public ne figurent pas dans les programmes des deux finalistes, ni dans les grands éditoriaux de l’entre-deux tours.
©Masiosarey, 2017