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Masiosarey

Une nuit de poésie francophone, pour séduire les convertis… et les autres


Pari réussi pour la Casa de Francia qui, pour la deuxième année consécutive, invite les amoureux de la langue française à fêter le mois de la francophonie pendant toute une nuit dédiée à… la poésie. Un programme original, une multiplicité d’espaces et d’ambiances et un public mexicain acquis, autant d’ingrédients qui font monter la sauce.

Casa de Francia

La partie était difficile à jouer : trois forums, deux salles et un salon de lecture à remplir, et ce pendant douze heures. Et pourtant à 21h, près de 600 personnes se partageaient déjà entre les différents forums pour explorer autrement la langue française : du concert de poésie érotique au débat sur le devenir de la poésie francophone, en passant par Victor Hugo mis en musique ! Une façon tout à fait originale d’appréhender ce qu’est, aujourd’hui, la poésie en langue française. Masiosarey y était une partie de la nuit… et y retournera sans faute l’année prochaine.

"Un rassemblement intergénérationnel" dans une ambiance festive

Au-delà de la réelle portée éducative de l’événement, ce qui frappe c’est le plaisir évident que les invités ont pris à parler de poésie et le public à les écouter. Le poète, écrivain, acteur et cinéaste Eugène Green n’a pas manqué de le relever. Réunir autant de monde pour de la poésie est une « chose impossible à réaliser en France » a-t-il souligné, avant de se dire impressionné par l’aspect « intergénérationnel » de cette rencontre.

©Masiosarey, 2017

En effet, les chaises ont systématiquement manqué dans la salle principale de la Casa de Francia. Et l’enthousiasme du public était palpable : enthousiasme d’écouter le ou la poète que l’on aime, enthousiasme de l’attente, enthousiasme « recueilli » lors des différentes lectures, ou festif sur le forum principal où avaient lieu les concerts. Dans la cour de la Casa de Francia, les groupes se formaient autour d’une (plusieurs) bières, de discussions et d’éclats de rires. La nuit s’annonçait longue et la majorité des participants semblait bien décidée à rester jusqu’à l’aube.

©Masiosarey, 2017

Un marathon pour le public donc, mais aussi pour les invités et il faut leur en rendre justice. Arthur H et Mina Agossi arrivaient de Puebla, où chacun avait présenté un spectacle, Eugène Green participait parallèlement à une rétrospective de plusieurs de ses films –chaque projection était accompagnée d’un débat– et préparait la semaine suivante une « master » classe d’interprétation baroque à la UNAM. Yoann Thommerel pour sa part était attendu le 28 mars à Mérida pour une nouvelle nuit de poésie…

La poésie comme objet de controverse: le retour de l’interprétation baroque des textes

La soirée a notamment été l’occasion de faire un (bref) état des lieux de la poésie francophone, de découvrir des initiatives originales et de réaliser, en passant, que la vigueur de cette poésie est préservée –bien souvent– ailleurs qu’en France.

Ainsi, vers 20h, une première (double) conclusion est tombée : Isabelle Courteau, poète québécoise, avance que l’une des raisons du dynamisme de la poésie québécoise réside probablement –et paradoxalement– dans « l’omniprésence de l’anglais », mais aussi dans la relative jeunesse de ses institutions culturelles, peut-être moins pesantes qu’ailleurs. Le débat est ouvert…

… Et sera poursuivie 2 heures plus tard, à l’occasion d’une conversation plus personnalisée avec Eugène Green, invité d’honneur de cette édition 2017. Ce New Yorkais d’origine est un fervent défenseur de la poésie francophone et plus généralement de la langue française. Il raconte au public le travail de recherche qu’il mène depuis des années sur la déclamation baroque, où comment jouer de la façon la plus authentique possible les textes de l’époque baroque (période qui court de la fin 16ème au début du 18ème siècle). Sa quête, explique-t-il, a d’abord commencé avec le théâtre et suite à une déception. Déçu de l’interprétation qui était faite des pièces du 17ème siècle, il s’est interrogé sur la façon dont elles avaient dû être jouées à leur époque, « quand elles étaient contemporaines ». Influencé par le mouvement de renaissance de la musique baroque, impulsé dans une démarche similaire (comment interprétait-on ces morceaux au moment de leur création ?), Eugène Green développe depuis une interprétation très différente de ces textes classiques et paradoxalement beaucoup plus vivante.

Malheureusement pour Eugène Green, si le renouveau de l’interprétation de la musique baroque a rencontré un certain succès, cette même démarche appliquée au théâtre et à la poésie a eu bien du mal à se faire une place. Notamment, selon lui, du fait d’institutions culturelles « peu sensibles » qui, au nom d’une idée de la modernité et du progrès, freinent toute démarche divergente en la rendant « moralement répréhensible ». Pourtant, assure Eugène Green, en matière de poésie l’avant-garde d’aujourd’hui est sensiblement la même que celle des années cinquante… En termes de modernité, on fera effectivement mieux.

©Masiosarey, 2017

Pour conclure sa conférence, Eugène Green a offert au public une déclamation de la fable « Le Corbeau et le Renard » de La Fontaine, adoptant la gestuelle et les accents d’antan. Une pantomime effectivement surprenante : les yeux roulent ; les mains se lancent dans un langage de signes probablement commun pour l’homme baroque mais complètement ésotérique pour l’homme du XXème siècle ; les r roulent et les oi prennent les accents de la lointaine province de Québec ! Epoustouflant !

Lettres et musique : quand poésie rime avec rock

Changement de lieu, changement d’ambiance. Sur le forum principal, une scène accueillait la musique. Là, Arthur H et Mina Agossi ont pu confirmer que poésie et musique sont définitivement liées.


©Masiosarey, 2017

Pour ouvrir le bal, Arthur H a présenté le spectacle D’or et d’Eros, monté en 2014 avec le musicien Nicolas Repac. Et ensemble ils ont secoué le public. Au programme de cette lecture musicale, les œuvres les plus controversées (voire censurées en leur temps) des grands auteurs du XXème siècle : Apollinaire, Louys, Breton, Eluard, Joyce entre autres. Surprise (ou presque) : dans une actualité où pourtant le sexe est partout, les textes sont toujours aussi sulfureux. Et la distance respectueuse qui s’est établi entre la scène et le public ne trompait pas : si certains riaient franchement en écoutant la litanie des positions du Kamasutra, des petits rires gênés confirmaient que certains textes pouvaient aujourd’hui encore choquer. Et oui…

Il n’en reste pas moins que la voix et l’accompagnement musical servaient remarquablement les textes et entraînaient l’auditeur dans une intimité réussie. Le tout au rythme d’une musique électronique lente et quelque peu hypnotique. A l’exception de la Lettre à Nora de James Joyce, où c’est la guitare sèche qui accompagnait la diction d’Arthur H. Clin d’œil au public, Arthur H a lu « les oreilles ourlées comme des petits bijoux mexicains, je vous aime » (Lou mon étoile de Guillaume Apollinaire).

©Masiosarey, 2017

Pendant la session suivante, Mina Agossi et son groupe (Eric Jacot et Simon Bernier) ont pu montrer que la poésie fait également bon ménage avec le rock. La chanteuse a alterné déclamation et mise en musique des paroles de poèmes de Victor Hugo. La basse et la batterie accompagnaient le texte mais, surtout, le métamorphosaient en un album de blues ou de rock. Victor Hugo, rock star. La chanteuse, qui connaît bien la force des changements de rythmes, jouait avec brio des silences et des solos instrumentaux, emportant l’adhésion inconditionnelle du public.

D’autres groupes se succèderont dans la nuit comme les mexicains Los Inquilinos ou encore le DJ Alyosha Barreiro qui réveillera l’ambiance vers 5 heures du matin.

Et dans le "Bocal", des lectures spontanées toute la nuit...

Le troisième forum pariait sur la participation spontanée, en mettant des poèmes et un micro à disposition de quiconque souhaitait se lancer et, à son tour, déclamer. Ce « bocal » –une petite pièce fermée de deux murs en verre– accueillait une dizaine de personnes et offrait une intimité inattendue. Debout ou assis par terre, une bière à la main, beaucoup venait simplement écouter. D’autres, aidés de téléphones portables pour guider leur lecture, disaient un poème de leur choix ou de leur plume, et démontraient, si besoin en était à la fin de cet évènement, que la poésie est résolument moderne et d’actualité.

©Masiosarey, 2017

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