¡Vivir bien! Quand la société civile s’intéresse aux personnes âgées…
Sans aller jusqu’à aborder, comme aurait pu le faire Luc Ferry*, la question philosophique de la « bonne vie », la plateforme d’information présentée le 1er mars 2017 n’en est pas moins ambitieuse. Elle s’adresse à un public généralement peu sollicité au Mexique : les personnes âgées (adultos mayores). Et pourtant, la question risque de devenir brûlante d’ici quelques années si la tendance démographique actuelle se maintient…
Dans le secteur de la santé publique, la coopération entre la France et le Mexique est de longue date riche en initiatives. En novembre 2015, dans le sillage de la COP21, c’est l’impact du changement climatique sur la santé qui était à l’honneur d’un séminaire organisé sous l’égide de l’Ambassade de France. Fin mai 2016, la Ministre française de la Santé, Marisol Touraine, s’est réunie avec son homologue mexicain et a rencontré les principaux acteurs de la coopération franco-mexicaine dans ce secteur. L’«accompagnement au vieillissement » est l’un des principaux thèmes de cette relation bilatérale. Et ce depuis 1983…
Un thème qui, définitivement, va retenir notre attention dans les mois à venir ! Attention attirée par la présentation à Mexico d’une plateforme d'information destinée au grand public et consacrée à la question du « Vivre bien ». Masiosarey y était…
Une initiative du secteur social (et privé) saluée par le secteur public
A l’origine de cette initiative : la Fondation Tagle, dont le Patronat est présidé par Federico Reyes Heroles Garza**. Créée dans les années trente, cette fondation*** s'était dédiée aux questions liées à la maternité. Dans les années soixante-dix, elle s’est progressivement interressée à une autre face du cycle de la vie, la vieillesse, dans le sillage de l’apparition au Mexique d’une nouvelle spécialité médicale, la gériatrie. La Fondation Tagle a d’abord alloué des subventions aux personnes les plus démunies. Les années passant, elle s’est également orientée vers la promotion d’une culture de respect et de reconnaissance des droits des personnes âgées. Et c’est sur ce second volet que la plateforme ¡Vivir Bién!, présentée au public ce 1er mars, compte marquer les esprits.
Depuis quelques années, la Fondation Tagle collabore avec l’Institut National de Gériatrie (INGER****) actuellement dirigé par le Docteur Luis Miguel Gutierrez, un des pionniers de la gériatrie au Mexique, qui s’est formé en France. Cette collaboration s’est d’abord traduite par la mise en place d’un programme éducatif, FORHUM3, dédié à la formation du personnel soignant en gériatrie. Aujourd’hui, elle aboutit à la mise en ligne d’un site internet, www.vivirbien.org.mx, dont le contenu est élaboré et/ou validé par l’INGER.
Le groupe de communication Ferrer (dont le directeur est aussi le président du Conseil directif de la revue Este país), également associé à cette entreprise, a orchestré les efforts de promotion de cette plateforme internet. Et d’autres mécènes, et pas des moindres, ont été mobilisés sur ce projet, tels que la Fondation Carlos Slim, OSC Digital Microsoft ou encore l’entreprise FEMSA.
Le concept du site ¡Vivir bien! est simple : utiliser les nouvelles technologies pour faire du bruit et pour changer la manière dont la vieillesse est vue au Mexique. Car vivirbien.org.mx ne s’adresse pas uniquement aux personnes du troisième âge mais à tout un chacun, qui --en son temps-- se convertira lui-même en personne âgée.
« Secouer la société mexicaine devant l’énorme défi auquel nous devons faire face » (Fondation Tagle)
Ce 1er mars, dans l’enceinte du ministère fédéral de la santé, les remerciements étaient de mises. ¡Vivir Bien ! –et la Fondation Tagle– ont en effet su mobiliser. La salle était pleine et le présidium rassemblait les grands acteurs du secteur santé : la représentante de l’OMS au Mexique, Gerry Eikkejmans, le directeur de l’INGER, Luis Miguel Gutierrez, le coordinateur des Instituts nationaux de santé du Ministère de la santé, Guillermo Ruiz Palacios, et, bien entendu, la représentante de la Fondation Tagle, María Elena Juarez (trésorière du Patronat) en lieu et place de Federico Reyes Heroles (absent pour cause de grippe).
« Ce qui est fondamental » souligne le Ministre de la Santé, José Narro Robles « c’est cette initiative du secteur social, qui a su convoquer sur un sujet aussi important » les secteurs privé, public (fédéral), universitaire et social. Face à l’ampleur du problème qui se profile, ajoute-il, il s’agit d’un « clair exemple de comment les choses doivent être faites ».
La représentante de l’Organisation Panaméricaine de la Santé au Mexique (OMS), Gerry Eijkkemans félicite pour sa part le Mexique pour une initiative allant dans le sens d’une meilleure prise en charge de la santé. Selon elle, « Pour bien vivre sa vieillesse, il faut bien vivre son enfance » : les politiques publiques doivent donc prendre en compte tout le cycle de vie. Selon Gerry Eijkkemans, les efforts du Mexique vont dans ce sens, notamment en termes d’accès à la santé universelle.
La lettre adressée par le Président du Patronat de la Fondation Tagle, Federico Reyes Heroles et lue par María Elena Juarez, met en avant les efforts conjoints des différents partenaires et, en particulier, l’implication de l’Institut National de Gériatrie dans l’élaboration du contenu, à partir d’une information scientifique solide et rédigée de manière claire et accessible.
C’est cette « convivialité » et la clarté de la plateforme que Guillermo Ruiz Palacios, responsable de la Commission coordinatrice des Instituts nationaux de santé du ministère de la santé, salue à son tour. Le moment est opportun, insiste-t-il, et le grand atout de cette plateforme est qu’elle a été conçue non pas pour « les anciens » mais pour les « hasarios », toute personne qui tomberait par hasard sur le site.
Face au défi que représente pour le Mexique le vieillissement de sa population, tous les efforts sont bienvenus. Car le Mexique est en retard sur ce front. D’après les chiffres de l’INAPAM (l’institut national des Personnes âgées), la population de personnes âgées s’élèverait à 11 millions : or, le pays compterait seulement 400 professionnels en gériatrie ! (INAPAM).
"La démographie ne pardonne pas ; elle est implacable" (Dr. José Narro)
En effet, dans un pays où le système de retraite est plus que déficient et où la pyramide démographique est en passe de s’inverser, l’enjeu est énorme. Et il n’est pas seulement démographique, il est aussi économique et social. Comme le rappelle le représentant du groupe de communication Ferrer, au Mexique 4 personnes sur 10 ne se sont jamais souciées de leur vieillesse. Les chiffres des organismes publiques mexicains montrent une réalité encore plus préoccupante.
Le directeur de l’INGER rappelle les chiffres de la vieillesse au Mexique et les replace dans l’évolution mondiale. Malgré tout, des progrès ont indubitablement été faits au Mexique. L’espérance de vie a augmenté et, à l’heure actuelle, les femmes mexicaines vivent plus longtemps que leurs voisines américaines. Quoique ne crions pas trop vite victoire, car comme le rappelle le docteur Guillermo Ruiz Palacios, les chiffres nord-américains sont pour leur part préoccupants : l’espérance de vie aux Etats-Unis est en effet en train de baisser, notamment à cause de l’obésité. L’obésité, un problème très préoccupant au Mexique également, mais qui n’est pas (encore) traité comme il le mériterait.
Le Ministre de la santé revient pour sa part sur les projections démographiques : en 2016 les personnes de 70 ans et plus représentent 4,6% de la population mexicaine ; en 2050, elles seront 11,4% de la population totale. Alors que les démographes parlent du dynamisme actuel de la pyramide des âges au Mexique et de son « bonus de population », le ministre rappelle que « la démographie ne pardonne pas, elle est implacable ». Dans quelques décennies, le bonus se transformera en « dette de population ». Et c’est aujourd’hui qu’il faut s’y préparer ; car les jeunes adultes d’aujourd’hui seront les cohortes de personnes âgées de demain.
Une présentation dépoussiérée de l’idéal de personne âgée
Car ne nous y trompons pas, la véritable cible du site ¡Vivir Bien ! sont justement ces futures générations de personnes âgées.
D’où un site et une communication volontairement dynamiques et surtout dépoussiérées des incontournables poncifs sur l’âge, et somme toute parfaitement réussis. Le message est clair : la perception actuelle de la vieillesse au Mexique doit évoluer, la vieillesse n’est pas la fin, « l’âge n’importe pas »… voilà le postulat de l’action de l’INGER. Un parti pris qui a du mal à se faire entendre car selon une enquête de Parametría de 2015, six sur dix mexicains interrogés considèrent les personnes du troisième âge “comme une charge”, alors que 48% des enquêtés estiment que les enfants ne s’occupent pas de leurs parents vieillissant.
Tout au long de cette présentation publique, les discours sont ponctués de courtes capsules vidéo présentant des témoignages sur la vieillesse. Et, surprise, le premier à s’être prêté au jeu est Cuauthémoc Cardénas, personnalité incontournable de la vie politique mexicaine de la seconde moitié du XXème siècle, qui nous présente sa routine quotidienne. Et étant donné sa forme (à 82 ans !), tout un chacun serait tenté d’adopter une routine similaire. Même si les nécessités changent avec les années, nous dit Cuauthémoc Cardénas, il faut « maintenir toute l’activité possible ». A bon entendeur…
Suit le témoignage de l’économiste, entrepreneur et chroniqueur Julio A. Milán. Lui, en revanche, n’a pas de routine et pari sur l’imprévu, l’innovation constante qui constitue l’intérêt d’une vie. Tout en insistant sur l’importance de la prévention. Julio A. Milán conclut « si votre esprit est fatigué, vous êtes une personne âgée, quel que soit votre âge!"
Finalement, Irene Diaz Quijano, bénéficiaire de la Fondation Tagle, revient sur l’importance de l’affection et du respect, car dit-elle « La vie est amour, à tous les âges et toutes les étapes de la vie ». Un témoignage crucial à la lecture de certaines statistiques. En effet, si selon l’Institut National des Sciences médicales et de la nutrition, 16% des personnes âgées souffrent de maltraitance, l’Institut National des Personnes Agées (Inapam), pour sa part, estime que ce sont plutôt –et malheureusement– 3 sur 5 personnes âgées qui souffrent de violence intrafamiliale.
On sent bien que le modèle du « senior » actif et dynamique, qui s’occupe de lui et de ses proches, qui voyage, qui se forme, qui participe activement à la vie de sa communauté … en bref, un modèle largement importé des pays développés, est celui qui préside ici et que l’on souhaite pour le Mexique.
Un pari osé dans un pays encore très en retard dans la prise en charge de la vieillesse, sur les plans médicaux, économiques ou sociaux! Autant d’obstacles à une vie autonome et pleine. Autant d’entraves prises en charge par les familles (dans les meilleures des cas) et malheureusement trop peu médiatisées.
©Masiosarey, 2017
*Luc Ferry, Qu’est-ce qu’une vie réussie ?, Grasset, 2005
**La Fondation Tagle est une institution d’assistance privée, créée dans les années trente à Mexico, à la mort du dernier héritier de la famille Tagle qui avait construit sa fortune dès le XVIIème sur l’exploitation d’haciendas pulqueras. Paradoxalement, alors qu’à ses débuts la Fondation se centre sur la question de la maternité et des familles les plus démunies, elle se réoriente dans les années soixante-dix vers la situation des personnes âgées de faibles ressources.
*** Economiste mexicain, ancien président de PEMEX et Ambassadeur du Mexique aux Etats-Unis de 1997 à 2000
**** INGER : Institut du secteur santé, créé par Décret présidentiel en 2008. Transformé en 2012 en « Institut national », l’INGER est en charge de mener à bien les politiques publiques de promotion du "vieillissement sain", tout comme d’appuyer la recherche et la diffusion dans ce domaine.
Pour en savoir plus: El Proceso