Une manifestation controversée: VibraMexico contre Trump le 12 février 2017
Dimanche dernier, les habitants de plusieurs villes mexicaines étaient convoqués à manifester leur mécontentement face aux provocations répétées du président Nord-américain Donald Trump. Chronique d’un évènement controversé…
La « Marche citoyenne pour le Respect du Mexique » est une initiative lancée début février par un groupe « d’associations et d’organisations civiles, d’institutions éducatives et d’associations d’entreprises » (77 en total selon María Elena Morera, directrice de Causa en Común) rassemblées sous l’égide du mouvement Vibra México.
Une unité rapidement mise en question
Mais l’appel à l’unité nationale et à la transparence dans les négociations avec le voisin du nord et, surtout, la non-affiliation politique revendiquée du mouvement (Amnesty International, l’ONG Articulo 19 ou encore la revue Letras Libres se sont associées à Vibra México) n’ont toutefois pas suffit à couvrir les dissensions et les critiques.
Car la visibilité médiatique est une arme à double tranchant ; et celle de certains des porte-paroles du mouvement a tout de suite eu des effets collatéraux.
A titre d’exemple : La présidente de l’association Mexicanos Contra la Corrupción y la Impunidad (MCCI), María Amparo Casar, s’est positionnée au fil des années et dans de nombreux médias comme une analyste politique de premier plan, tout en entretenant des liens étroits avec le milieu universitaire. Pourtant son expérience gouvernementale l’associe irrémédiablement au parti politique Action Nationale*. Rapidement, et inévitablement, les critiques mettent en avant la récupération politique du mouvement.
De son côte, la présidente du mouvement Pro-Vecino, Laura Elena Herrejón, pour sa part liée au Parti Révolutionnaire Institutionnel, invite à une seconde marche qui partirait de la Chambre des députés pour aller à la rencontre la première marche, qui elle partirait de l’Auditorio Nacional. A cette seconde marche s'associe l'activiste Isabel Miranda de Wallace qui multiplie les casquettes. Cette dernière a aussi été affiliée à un parti politique (le PAN, sous les couleurs duquel elle s’était présentée comme candidate au gouvernement de la Ville de México en 2012).
Le mal est fait. Et ce n’est pas la posture du président mexicain, qui se félicite de l’initiative Vibra México, qui calme les esprits.
Le bashing dans les réseaux sociaux s’étend, et interpelle jusqu’au recteur de l’Université Nationale Autonome du Mexique (UNAM) qui avait, dans un premier temps, répondu favorablement à l'appel à manifester. Quelques jours à peine avant la marche, une question est sur toutes les lèvres : qui participera ?
Un déroulement sans accros
Dimanche 12, 11 heures, la station Auditorio annonce la couleur : au vu du nombre de personnes qui descendent des rames de métro, une manifestation se prépare indubitablement. Pourtant, à l’extérieur, sur le parvis de la salle de spectacle, petite déception : la foule annoncée n’est pas (encore ?) au rendez-vous. Et les vendeurs ambulants –qui pensent probablement à la manière dont ils devront écouler les centaines de petits drapeaux à l’effigie de Donald Trump qui leur resteront sur les bras– ont le visage gris. Les drapeaux mexicains posent toujours moins de problème, nous confiront-ils, car ils seront toujours recyclés lors d’une fête nationale ou d’un prochain match de l’équipe tricolore.
Un peu plus loin, quelques personnages extravagants parsèment les rangs, dont un homme barbu, habillé en palestinien, qui prend la pose devant tous les photographes amateurs.
Les Universités publiques avaient été conviées à manifester ensemble, et par conséquent sous l’égide (et le poids du nombre) de l’UNAM (Université nationale autonome du Mexique) représentée par son recteur, Enrique Graue. D’abord, réunis au Casino Militar, restaurant situé à un pas de l’Auditorio Nacional, les autorités universitaires rejoignent la foule vers midi pour s’intégrer au cortège. Et c’est d’un vibrant Goya Goya (Hymne universitaire) que le contingent s’ébranle…
… rapidement stoppé par le seul incident que nous avons pu repérer. A la hauteur de l’Auditorio, un autobus est bloqué par la police, et les slogans qui sortent de ses haut-parleurs ne laissent aucun doute sur la cause du malaise : un groupe de « citoyens » (dont la provenance ou l’appartenance est indéfinissable) souhaite participer à la marche depuis cet autobus, tout en scandant des slogans contre un président, celui du Mexique, évidemment. Toutefois la foule, et en particulier le contingent universitaire, contourne de la manière la plus flegmatique imaginable l’obstacle et suit son bonhomme de chemin.
Rapidement le cortège s’étiole, et sans véritablement le vouloir, nous nous retrouvons dans le groupe mené par des associations de l’initiative privée.
Là, l’ambiance était un peu différente : les cris fusent, les slogans divers et variés se font entendre. Mais c’est surtout l’expression de la fierté mexicaine (patriotisme ? nationalisme ?) qui dénote : les Vivas México s’enchaînent, ponctués de chants mexicains traditionnels tels que « Cielito lindo » entonné à la cantonade.
L’ambiance est bon enfant. Les gens s’excusent lorsqu’ils vous bousculent et les seules plaintes observées sont celles d’une dame d’un certain âge reprochant aux journalistes de piétiner les fleurs du Paseo de la Reforma !
Après une heure et demie de défilé, la cohorte arrive enfin à son objectif : l’Ange de l’indépendance, surplombé pour l’occasion par une myriade de drones (appartenant majoritairement aux journalistes). Et, sous le soleil de Mexico, l’attente commence. L’attente de quoi ? Nous ne le saurons jamais. Après un hymne national, la foule se disperse… aussi tranquillement qu’elle était arrivée et qu’elle avait défilé.
Une réussite mitigée
Le jour d’après, les journaux ne s’y trompent pas: tous relèvent l’échec de la mobilisation.
Au-delà du caractère tout à fait pacifique de la manifestation, qu’il faut lui reconnaître, on peut légitimement se poser la question de son efficacité et surtout de son impact au Mexique.
Tout d’abord, qu’en a donc pensé la presse américaine ? CNN estime que 20.000 personnes s’étaient rassemblées ce dimanche, conformément aux chiffres avancés par le Ministère de l’intérieur mexicain (le Ministère de la sécurité publique de la ville de Mexico comptabilise pour sa part 18.500 manifestants. The Washington Post est beaucoup plus nuancé quant aux chiffres de la participation et évalue 11.000 participants). Si la célèbre chaîne américaine reporte les slogans anti-Trump, elle relate aussi la colère exprimée contre le président mexicain, Enrique Peña Nieto.
La presse mexicaine est plus dure. L’Expansion titre « La confusion et les critiques contre Peña Nieto marquent les manifestations contre Trump », mais surtout publie une interview de Laura Elena Herrejón qui reproche à Vibra México de ne pas avoir voulu s’unir dans une seule marche. La Jornada rapporte pour sa part que des étudiants ont interpellé le recteur Graue sur son choix de participer à une manifestation convoquée « par l’oligarchie ». Proceso relaie des incidents survenus dans la manifestation qui a eu lieu à Puebla et surtout les slogans anti-Peña Nieto de la manifestation de la Ville de Mexico. Là encore, c’est le recteur Graue qui essuie la critique la plus dure : il n’a pas réussi à mobiliser les étudiants pour la première manifestation où un recteur de l’UNAM participe depuis près de 50 ans.
L’idée que cette cause allait fédérer et créer l’unité était donc illusoire. Et ce dès le départ. Dimanche, les slogans anti-trump se mêlaient aux injonctions au président Peña Nieto. Et, pour l’occasion, les panistes (partisans du PAN) avaient rejoint la gauche mexicaine : le frère de Margarita Zavala, ancienne épouse du président Felipe Calderon et candidate à l’investiture pour le PAN, arborait une pancarte anti-Peña. Dans le cortège, les critiques contre le Gazolinazo ou contre Videgaray s’articulaient à d’autres causes, moins évidentes, comme cette dame qui portait une pancarte contre l’industrie minière dans le pays. On peut donc émettre l’idée de récupération politique de toutes parts, sans trop se tromper… mais n’est-ce pas l’apanage de toute manifestation ?
Quelques jours avant la manifestation, La Jornada relayait les commentaires des réseaux sociaux qui prévoyaient une manifestation « fresa » ou convoquée par les « televisos ». Et, pas de doute en effet sur le profil des participants (en tout cas ceux qui venaient d’Auditorio) : il s’agissait de la classe moyenne et moyenne élevée. Des gens qui ne manifestent que dans des occasions comptées, avec leurs enfants de tout de blanc vêtus. Un constat : si la gayabera est à la mode pour les mariages printaniers, elle l’est aussi pour les défilés !
Une manifestation désorganisée ? Probablement. Mais plus que désorganisée, dilettante. Et ce en grande partie en raison du public mobilisé : peu de personnes affiliées à une association ou à un organisme militant ; le contingent des syndicats et autres organisations accoutumé à défiler manquait sensiblement, notamment en terme de slogans et de sons (les hauts parleurs et baffles sont essentiels pour qu’un cortège fasse du bruit).
Y trouver son compte
Pour ceux que la cause anti-trump ou anti-peña ne fascine pas, il y avait d’autres raisons pour participer à cette balade dominicale. Et en particulier pour les non mexicains ou pour les « débutants-manifestants ». Le secteur économique des ambulants –avec la flexibilité qu’on lui connaît– ayant toujours une longueur d’avance, vous aviez oublié votre chapeau, votre bouteille d’eau, vos clopes, votre petit dej. ou votre affichette pour soutenir la cause… dès la sortie du métro, un vendeur répondait à vos nécessités et même au-delà. Vous pouviez ainsi acquérir un chargeur de téléphone portable « dernier cri » ou encore –et nous devons le confier, nettement plus étrange– un parapluie estampillé de la Tour Eiffel.
Autre intérêt de la manifestation : rencontrer des personnes et personnalités mexicaines que vous n’auriez jamais eu l’occasion de croiser. C’était le cas d’un ancien Juge de la Cour pénale de la Haye, le mexicain Bernardo Sepúlveda-Amor, qui défilait avec une pancarte un anglais fustigeant le président Trump.
Ou encore celui de Juanito (rappelez-vous de ce délégué d’Iztapalapa qui avait été élu en 2009 puis qui démissionna pour laisser le poste à Clara Brugada). Seul sur le trottoir avec une pancarte anti-trump, il avait son éternel bandeau sur la tête
.
Vivement le défilé du 1er mai pour savourer une nouvelle fois le surréalisme mexicain…
©Masiosarey, 2017
*Ex-conseillère de Santiago Creel au Ministère du gouvernement (2000-2005)